Pardon (3/3) – Le non pardon

Pardonner
Pardonner n’est pas une option pour ceux qui déclarent suivre Jésus. En effet, le pardon est un des principaux piliers de la foi chrétienne, mais surtout un vrai chemin de vie qui libère, chez moi et chez l’autre, la capacité à devenir vraiment humain.
En trois prédications, voici un petit parcours, qui, sans être une méthodologie, peut quand même constituer une incitation à vivre vraiment, jusqu’au bout, le programme du Christ.

Texte de référence : Matthieu 18:21-35
Prédication donnée le 18 septembre 2005 à l’Eglise Réformée du Marais

Prédication

Souvenez-vous de la jubilation de Pierre qui croit bien faire en exagérant, qui pense qu’on va acclamer son zèle parce qu’il a proposé de pardonner 7 fois — ce qui est déjà formidable — et qui vit la déconvenue radicale d’apprendre qu’il faut pardonner 70 fois 7 fois.
Suite à cette surenchère exponentielle de Jésus, on s’attendait à avoir une explication. On aimerait quand même en savoir un peu plus. Et cette explication vint sous la forme d’une parabole.
Mais notre attention, dans une lecture acérée du texte, se porte sur le mot de transition entre la réponse de Jésus et la parabole du Royaume qui va suivre. Attention aux petits mots qui changent le sens des histoires.
Pour ma part, quand j’entendais « Pardonner 70 fois 7 fois »… je pensais que Jésus étayait ensuite son propos en disant « En effet… car en effet… », mais il n’en est rien. Jésus dit « C’est pourquoi ».
« Pardonner 70 fois 7 fois »… c’est pourquoi… »
Le statut de la parabole qui va suivre n’est donc pas une illustration imagée du fait qu’il faille pardonner 70 fois 7 fois, il n’est pas non plus une explication des causes théologiques de ce pardon total voulu par Dieu.
Le texte qui va suivre est un récit des conséquences. Voici comment illustrer les conséquences concrètes de cette exigence démesurée du pardon dans vos vies. Et voilà comment ça marche dans le Royaume de Dieu, dans ce plan d’existence où nous vivons, plan qui s’ajoute au seul plan terrestre de notre vie matérielle, affective, humaine.

Ce récit va aller très loin puisqu’à notre grande surprise, au lieu de parler des conséquences du pardon, ce récit imagé va nous décrire les conséquences du non-pardon. « Si jamais vous refusez d’entrer dans ce projet de pardon total, voilà ce qui se passera pour vous. » Ouvrez vos oreilles !
Et comme dans tous les textes du nouveau testament, celui-ci déploie à la fois une promesse d’une grâce réjouissante et d’une exigence incontournable. Retenons les deux facettes de l’enseignement de Jésus, et pas seulement celle qui nous ferait plaisir (celle de dire que Dieu trouve que tout est beau et que tout le monde est gentil), mais bien la totalité du tableau que Jésus dessine sous nos yeux, avec ses lumières et ses ombres, l’un n’ayant pas de sens sans l’autre.

La première chose que me rappelle ce texte, c’est que le pardon est toujours une histoire de remise de dette. C’est comme si nous avions un compte en banque non pas en euros mais en joie et en paix. Oui, je dis bien un compte en banque dont l’unité de mesure monétaire seraient la joie et la paix. Et à chaque fois que nous traverse un ressentiment, c’est comme si nous devions payer un impôt très lourd à la haine. A chaque fois que nous viennent des regrets amers, nous devons faire un chèque en blanc à l’adversaire du Christ, cet adversaire qui se paye de nos joies abîmées et de nos tranquillités troublées. Autant dire que sur le compte de la paix et de la joie, si nous n’acceptons pas de vivre avec le mode de vie spirituelle de Jésus, nous sommes toujours dans le rouge, et parfois proche de l’interdiction de chéquier, et peut-être pour certains qui ont accumulé les traites au Ministère de la Colère, vous êtes franchement interdits bancaire. Cette situation consiste donc en l’absence totale de paix et l’inexistence concrète du bonheur.
Mais voici que le projet de Dieu est tout à fait étonnant. Il ressemble aux projets de l’ONU et du G8 à cette différence près qu’il va jusqu’au bout. C’est un projet de remise de dette. Dieu a eu une grande idée, c’est d’inciter tous les propriétaires de comptes en banque en paix et en joie à administrer différemment leurs porte-monnaie.
La première incitation consiste à ne pas laisser à droite et à gauche des chèques en blanc de haine ou d’inquiétude, car ils nous mettent dans une situation permanente de surendettement. C’est quelque chose que l’on comprend très vite, mais que nous avons plus de mal à mettre ne pratique, quand bien même on aurait vraiment intégré cette idée.
La deuxième incitation du Seigneur est remarquable, c’est que Dieu a décidé que tous ceux qui voulaient bien lâcher prise et lui faire confiance, recevaient une option dans leurs services bancaires, qui est bien mieux que toutes les offres — scandaleuses, soit dit en passant — de découvert. Dieu prend à sa charge (pour vous qui voulez bien vous confier en lui) tous vos découverts sur vos comptes en banque en paix et en joie. C’est formidable, non ? En réalité, ce n’est pas un puits sans fond, car normalement, dès la première fois où Dieu règle la différence et nous remet dans le positif, nous héritons en même temps d’une soudaine lucidité de gestion qui nous permet de ne plus administrer bêtement nos ressources, et nous mettons fin définitivement aux pratiques dispendieuses que sont la rancune, l’animosité, la malveillance, et la colère.

Ce qui est grave, donc, d’après la parabole de Jésus, ce n’est pas le fait que Dieu ait à dépenser des mille et des cents pour nous désendetter, au début de tout ce processus, mais c’est notre inconséquence par rapport à ce désendettement massif et soudain. Car aussitôt que Dieu nous libère d’un passif dont nous n’aurions jamais pu nous tirer sans sa clémence et sa douceur, nous nous sentons tout légers et nous retournons à des modes de fonctionnement qui sont ceux du monde et non ceux du Royaume. Nous oppressons les autres pour fêter la fin de notre propre sentiment d’oppression…
La loi du Royaume de Dieu consiste à briser la dette, quoi qu’il en coûte, quoi qu’il en coûte à Dieu, et pour mes affaires à moi, quoi qu’il m’en coûte. Si je ne brise pas la dette, si je ne déchire pas les chèques en blanc que les autres me font en m’agressant, j’échappe à la législation du Ciel, à sa jurisprudence et à ses codes.
La conséquence est simple, et vous voyez qu’il s’agit bien d’une question de compétence judiciaire. Si vous êtes citoyens du Royaume, vous savez que la loi du Royaume est une loi du pardon. Si vous ne vivez pas cette loi du pardon, vous quittez la compétence du Royaume, et on vous remet sous la loi du monde. Et vous aurez à en tirer les conséquences. Car le monde ne pardonne pas, le monde punit et sa justice est basée sur la rétribution, fort heureusement, puisque c’est la base même de l’équité, normalement.

En somme, les uns et les autres nous sommes aujourd’hui devant un choix.
Soit nous disons que nous avons la double citoyenneté, puisque nous sommes citoyens de la République et citoyens du Royaume. Et à ce moment-là, pour les affaires matérielles et humaines nous sommes sous la compétence des lois du monde, mais pour les affaires spirituelles, nous nous plaçons sous l’autorité d’une loi bien plus exigeante qui est celle que le Christ est venue révéler. Si nous désirons avoir cette deuxième citoyenneté, du Ciel, l’obéissance à la loi de pardon n’est pas une option, elle est une condition.
« Voilà ce qui vous arrivera si vous ne pardonnez pas de tout votre cœur ». Ce qui vous arrivera c’est que vous serez remis, tout simplement, à la seule compétence du monde, y compris pour les affaires spirituelles. Et le monde est régi par la compensation et la rétribution, je l’ai déjà dit : pour toutes vos haines et vos ressentiments, vous serez accablés, sans espérance et déçus. Pour toutes vos amertumes vous serez dans l’atermoiement, le sentiment d’une culpabilité qui n’en finit jamais. En somme pour tous vos non-pardons et parce que c’est vous qui refusez de briser la logique de la dette, parce que c’est vous qui refusez que se déploie la compétence du Royaume dans votre vie, vous serez endettés, débiteurs, sans cesse redevables des agios exponentiels de la rancœur qui s’installe au fond du cœur comme un horizon inéluctable.

Considérez le projet de Dieu.
Vous avez envie de continuer à vous culpabiliser sans fin ?
Vous êtes très attirés par la bile qui marine dans votre cœur et y laisse des ulcères acides ?
Vous avez un goût certain pour les regrets et le sentiment de ne jamais y arriver ?
Vous aspirez à une vie terne et repliée sur elle-même ?
Vous sentez un désir qui pointe de vous complaire dans la morgue et les sentiments funestes ?
Eh bien, désormais, vous savez que faire.
Surtout, ne pardonnez pas.
Vous ne serez pas déçus…
Amen

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