Pardon (2/3) – Comment pardonner ?

Pardonner
Pardonner n’est pas une option pour ceux qui déclarent suivre Jésus. En effet, le pardon est un des principaux piliers de la foi chrétienne, mais surtout un vrai chemin de vie qui libère, chez moi et chez l’autre, la capacité à devenir vraiment humain.
En trois prédications, voici un petit parcours, qui, sans être une méthodologie, peut quand même constituer une incitation à vivre vraiment, jusqu’au bout, le programme du Christ.

Texte de référence : Matthieu 18:21-35
Prédication donnée le 11 septembre 2005 à l’Eglise Réformée du Marais.

Prédication

Il est tout à fait saisissant de voir le fossé qui sépare l’Evangile de la réalité de ce que nous vivons. Et c’est un pain bénit pour ceux qui veulent lancer des cailloux sur les chrétiens, car les pourfendeurs de l’Église ont malheureusement raison : voici une communauté qui place le pardon au centre de tout ce qu’elle croit, mais qui ne fait pas ce qu’elle dit. Ce n’est pas un fossé, c’est un chenal, ce n’est pas un chenal, que dis-je c’est un abîme ! Ce n’est pas un abîme, c’est un vide sidéral et sidérant !
Le décalage abyssal entre la réalité vécue par les chrétiens et le type de pardon que Dieu attend se dit merveilleusement dans le texte que nous avons relu à l’instant.
Pierre vient d’entendre Jésus expliquer la nécessité de la correction fraternelle. Il a écouté quelle doit être la vigilance des uns pour les autres, cette vigilance qui n’a pas pour but un jugement ou une condamnation, qui n’est pas là pour un flicage communautaire, mais pour donner à chacun une chance de se sortir de l’ornière où il aurait pu s’engager. Chacun peu aider un autre à nommer le problème dans lequel il se trouve. Et la conséquence immédiate de cette correction fraternelle, c’est le pardon. Car celui qui s’est amendé ne peut que trouver le pardon dans la communauté, il ne sera pas sous le coup d’une peine à perpétuité.
Pierre a tout à fait raison d’embrayer la conversation sur le pardon, car c’est bien à cela qu’il faut en arriver. Mais là où il se trompe, c’est dans la profondeur de sa démarche. Il se demande sûrement, intérieurement : « Comment je pourrais montrer que j’ai bien compris toute cette affaire, et qu’il faut pardonner beaucoup ? Je vais lui demander s’il faut pardonner trois fois, — ce qui est déjà énorme, tout le monde en conviendra —. Allez, non, je pousse le bouchon beaucoup plus loin, pardonner une fois par jour pendant une semaine, énorme ! »
Et voilà Pierre qui propose à Jésus de pardonner sept fois. Ce faisant, il a l’impression d’être zélé et a bon espoir que Jésus lui dise : « Tu sais, si vous pardonniez déjà trois fois, ce serait bien… — sourire de Jésus ». Et Pierre est tout à fait confiant puisque Jésus ouvre la bouche pour dire : « Je ne vous dis pas de pardonner sept fois… ». Ca y est, Pierre est content, il a visé juste… ? « pas sept fois… mais soixante dix fois sept fois ».
Appelez ça comme vous voudrez, pour moi, c’est une grosse claque.
Vous sentez le fossé ? Vous percevez l’abîme ?
Tout le décalage entre la volonté de Dieu et la réalité de l’Église se trouve dans ce dialogue.
Car Dieu attend de nous que le pardon ne soit pas seulement une éthique, une stratégie, ou une tendance. Jésus ne propose pas le pardon comme une mode ou une option qu’il serait vraiment très chouette de vivre, mais comme une loi, comme un mode de vie, comme une structure de l’existence chrétienne.
Il ne s’agit donc pas de dire qu’on va pardonner au bout d’un long processus de maturation et d’initiation chrétienne, mais bien de dire que tant qu’on n’a pas enclenché le processus fondamental du pardon dans sa vie, on n’est pas chrétien. Oui, je sais, c’est dûr, mais nous ne sommes pas ici pour entendre seulement des paroles qui nous caressent dans le sens du poil. La grâce, formidable, sans mesure, dont nous sommes au bénéfice est une grâce tout à fait gratuite, mais dont nous avons à tirer toutes les conséquences, dont la première est la nécessité d’entreprendre le chantier du pardon.
Je voudrais aujourd’hui rappeler des choses qui seront peut-être élémentaires, mais qui sont vitales en matière de pardon. Car il y a bien tout un processus qui se joue dans le pardon, tout comme la semaine dernière, nous voyions qu’il y avait toute une démarche progressive dans la correction fraternelle.
Le pardon se joue en quatre étapes.

1. Nommer les torts.
Bien des situations sont complètement pourries parce que, finalement, on ne sait pas vraiment les torts qui sont en jeu. On voue une haine à l’autre, parfois même au-delà des générations, mais la raison première a été oubliée de tout le monde. C’est vrai dans les familles et c’est vrai entre les peuples. Et c’est pour cette raison qu’on ne peut pas faire l’économie de cette première phase du pardon qui consiste à exprimer quels sont les torts. Il faut commencer à le formuler pour soi-même quand on nous a offensé. Quel est vraiment le tort ? En profondeur. Est-ce que c’est l’insulte elle-même ? Ou est-ce que c’est quelque chose de plus profond, qui a été touché par l’insulte ? Il est donc indispensable de prendre d’abord un temps d’introspection pour essayer de voir comment on a été touché et le pourquoi de notre peine ou de notre colère. Le nommer, pour nous, c’est déjà arriver à dissocier la personne de sa parole. Trop souvent nous faisons la confusion entre les deux. En effet, si quelqu’un me dit quelque chose de très dur, est-ce que je dois en vouloir à la personne ? Ou est-ce que je dois regretter cette parole ? Vous allez me dire que les deux sont tout à fait liés, mais en même temps, il est important de les dissocier. Car on peut la plupart du temps pardonner d’autant plus vite une parole qu’on aura saisi que celui qui l’a dite n’était pas totalement maître de ses mots. Les deux tiers des situations de pardon tiennent à des paroles dites ou des gestes faits qui n’étaient pas complètement intentionnels de la part de ceux qui les ont faits. On pardonnera donc d’autant plus facilement la personne qu’on aura compris que ce n’est pas son être qui vous a offensé, mais le produit de son être que sont la parole ou le geste. Cette différence n’est pas du pinaillage, elle est au contraire une discipline pour nommer les choses. Ce n’est pas Untel contre qui j’en ai, c’est contre ce qu’Untel a dit tel jour à telle heure.
Cette première phase qui consiste à nommer les torts est fondamentale, car nommer c’est prendre autorité. Nous ne le dirons jamais assez, nommer quelque chose, c’est déjà prendre le dessus. Tant qu’une souffrance n’a pas de nom, elle n’a pas d’issue ; tant qu’un tort est diffus, inexprimé, il a beaucoup de puissance, mais sa puissance s’effondre à partir du moment où il est reconnu et appelé par son nom.
C’est d’autant plus important que dans bien des situations de conflit ou de blocage, celui qui a offensé n’a même pas réalisé que ce qu’il avait dit ou fait était extrêmement difficile à encaisser pour celui qui était en face de lui. Comment pardonner quelqu’un qui n’a même pas idée qu’il nous a blessé ?

2. Décider qu’on va pardonner.
Après cette première étape pour nommer, vient un deuxième temps qui se joue en nous-mêmes. C’est le temps de la décision. Car pardonner est d’abord une décision qu’il faut prendre. Des tas de gens préfèrent enterrer une situation que de pardonner. Des tas de sagesses abscondes proposent d’oublier plutôt que de pardonner, de laisser aux vagues du temps le soin d’effacer les sillons dans le sable. Mais c’est vain, car un pardon qui n’a pas été donné est toujours une bombe à retardement. Il y a donc une décision à prendre. Pour un chrétien, je l’ai dit, ce n’est pas une option, c’est une condition sine qua non au fait de porter le beau nom de chrétien. Mais il n’empêche qu’à chaque fois, cela doit être une décision explicite. C’est pour cela qu’il est plus facile de vivre cette phase dans un dialogue fraternel avec un frère ou une sœur chrétiens, parce que cela nous oblige à dire, d’une parole qui nous engage vis-à-vis de l’autre : « Je me suis décidé à pardonner à Untel ». La décision est une étape fondamentale, et pourtant elle n’est pas l’aboutissement de tout. Pardonner est quelque chose de presque impossible au cœur humain. Nous sommes encore trop dans le règne de l’animalité et de la revanche pour pouvoir pardonner jusqu’au bout. C’est pour cela que cette décision de pardonner est essentielle mais qu’en même temps elle ne se suffit pas à elle-même.
Le cœur profond du pardon va se jouer dans la prière, quand nous allons demander à Dieu qu’il nous insuffle la force de pardonner. Voyez le paradoxe, en même temps ma décision de pardonner est centrale, et en même temps je n’en ai pas les capacités, et donc c’est la puissance du pardon de Dieu qui a été manifesté en Jésus, qui peut seule me donner les moyens de vivre à mon tour le pardon jusqu’au bout. Là encore, ne brûlons pas les étapes, car sans cette force qui vient d’en-haut, nous ne vivrons jamais le pardon à 100%, mais seulement partiellement, laissant des germes de discorde bien implantés dans le terreau de nos existences.

3. Aller dire qu’on pardonne
Vous voilà maintenant décidé, et par la prière, vous avez aussi reçu la force de vivre le pardon jusqu’au bout, il est donc temps de passer à l’action. Car il ne suffit pas de dire « C’est bon, au plus profond de mon cœur, je lui ai pardonné ». Cela ne veut rien dire ! En effet, le pardon intervient dans une situation relationnelle, il intervient entre deux personnes. Et ce qui ne serait vécu que par un seul n’a aucun impact sur le deuxième. Vous pouvez avoir pris les meilleures décisions du monde, vous pouvez avoir reçu la force de vraiment pardonner, jusqu’à l’impardonnable, mais si vous n’allez pas présenter ce pardon à celui ou celle qui vous a offensé, c’est comme si rien ne s’était passé, car la relation n’est pas restaurée, les réparations ne sont pas vécues, elles ne sont pas effectives. C’est une étape qui est très souvent oubliée, ce qui est terrible car quand elle n’est pas vécue, c’est comme si rien n’avait eu lieu. La paix intérieure que nous apporte la décision profonde de pardonner nous pousse souvent à nous dire que tout est bien qui finit bien ; et nous en venons à oublier la mise en actes de ce qui, pour l’instant, n’existe qu’en puissance.

4. Faire une alliance de pardon
Parfois, avant de donner la parole de pardon, nous l’avions dit dès le début, il faut prendre le temps de dire ce qui a offensé. Mais il ne suffit pas non plus de dire « Tu sais, je te pardonne pour ça ça et ça ». Le processus de pardon n’est pas encore à son terme une fois qu’on a partagé cette parole. Car, si le pardon est un mécanisme relationnel, il faut qu’il y ait une relation, un échange autour de ce pardon. Et l’étape finale, c’est la parole de celui qui avait offensé, qui, avec ses mots à lui, va dire « Je reçois ton pardon et t’en remercie ». L’échange d’une alliance renouvelée est indispensable sinon, il se peut que le pardon n’ait pas été reçu. Imaginez que la personne dise : « Oh non, je suis impardonnable, je m’en veux, je m’en veux ». Cela voudrait dire qu’il y a encore besoin de temps et que c’est l’autre qui n’a pas fait tout le chemin pour pouvoir accepter ce pardon. Parfois il faudra être patient car l’autre n’aura pas avancé à la même vitesse que nous, et il aura besoin de temps avant qu’on revienne, qu’on reparle ensemble, et que le pardon soit vraiment reconnu, nommé, accepté, consommé.
J’imagine qu’au fil de cette prédication vous aurez reconnu des situations où vous avez voulu pardonner et où ça n’a pas marché. Peut-être vous serez-vous aperçu que vous aviez brûlé une étape. Il est toujours possible, même très longtemps après, de revenir sur une offense et de faire toute ce travail de pardon.
Non seulement c’est toujours possible, quitte à raviver pour quelques instants de mauvais souvenirs, mais on ne peut pas vivre dans la paix tant que ce travail de pardon n’a pas été fait d’une façon globale. Je voudrais vous inciter à vivre cela le plus profondément possible, à ne pas vous priver du pardon, non seulement du pardon que l’on reçoit, mais aussi et surtout du pardon qu’on donne, car c’est vital pour pouvoir vivre heureux.
Dans cette communauté en particulier, il reste de nombreux pardons à vivre avant que notre témoignage ne puisse être vraiment recevable à l’extérieur. Il y a eu tant d’anathèmes dans les dernières années… il ne faudrait pas croire que le seul fait de les avoir mis dans un côté de notre mémoire suffise à les considérer comme réglés. Ce n’est pas en tout cas le chemin sur lequel le Christ nous appelle à marcher.
Dans nos familles aussi, il y a beaucoup à pardonner, car il y a beaucoup à vivre, et que la destinée des autres, leur parole et leurs choix ne nous sont pas indifférents.
Aussi, quand l’immensité de cette tâche semble nous déborder, c’est à celui qui avait la force de pardonner soixante-dix fois sept fois qu’il faut s’adresser.
Prions… Seigneur, c’est vers toi que nous nous tournons car tu es le Dieu de l’impossible et que le pardon est au-delà de nos forces. Nous te le demandons du plus profond de notre cœur, viens, équipe-nous, façonne-nous à l’image de ton Fils. Aide-nous à enclencher cette démarche indispensable car sans Toi, nous ne pouvons rien…
Amen

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