Témoignage de N.

2011 : De la mort à la vie

Beaucoup d’entre vous ont entendu des bribes de mon chemin depuis 2004 lorsque je fus diagnostiquée avec un adénome bénin à l’hypophyse. Des évènements incroyables se sont déroulés ce printemps et bien que nombre de mes amis les aient traversés avec moi, il a fallu huit mois pour que cette histoire se déroule et que je sois capable de la partager en entier et ouvertement.

Pendant de nombreuses années, j’ai cru que je mourrai jeune. Je fus frappée par la mort tragique de plusieurs personnes chères lorsque j’étais adolescente, et cela me rappela que la vie était brève. J’avais inconsciemment accepté et m’étais soumise à l’idée de quitter tôt cette terre. La dépression devint une bataille constante et je pensais souvent au suicide. Bien que je n’aie jamais le cran de tenter quoi que ce soit, je suppliais régulièrement Dieu de prendre ma vie.
Ma propre mort devint une sorte de préoccupation secrète – je fantasmais plus sur mon enterrement que sur mon mariage.

Pendant une tournée musicale à Winnipeg, au Canada, en 2004, je fus transportée en urgence à l’hôpital au milieu de la nuit, confuse, vomissant, ayant pris un antalgique pour mon mal de tête. Ce fut alors que quelque chose fut visible sur le scanner. Les mois suivants, les rendez-vous avec les docteurs étaient très prenants et débuta une saison de migraines invalidantes … migraines qui me laissaient impuissante, mâchant mes mots et avec une incapacité à comprendre. A cette époque la tumeur ne posait pas de problème sérieux, car elle était toujours assez petite. Les docteurs décidèrent de me mettre sous traitement médicamenteux pour réduire les maux de tête et de surveiller annuellement la croissance de la tumeur − et cela pour le reste de ma vie. La part la plus difficile de cette situation fut d’être constamment confrontée à tellement d’incertitudes : incertitude quant à savoir quand je serai prise de migraines et incertitude des résultats annuels de l’IRM.

Juste après la fête de Thanksgiving en 2006, je partis faire une IRM et j’eus de mauvaises nouvelles : la tumeur avait doublé de taille et une intervention chirurgicale fut planifiée. Mon monde fut retourné alors que j’arrangeais ma vie en vue de l’opération. Ces brèves semaines d’anticipation et de préparation furent remplies de beaucoup d’émotions. Bien que je sois entourée de personnes inquiètes à mon sujet, le Seigneur me donna la paix alors que je faisais face aux possibilités postopératoires. Je m’accrochais à la vérité que « ni la mort ni la vie, ni les anges, ni les démons, ni le présent ni le futur, ni les puissances, ni les hauteurs ni les profondeurs, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Romains 8 : 38-39). Ce fut alors que je commençai à comprendre profondément, et pas seulement à en avoir connaissance, que Christ est un bien précieux.

Parallèlement, je me sentais secrètement prête à mourir – en fait, je ne le désirais que jusqu’à une certaine mesure. Je lâchai émotionnellement mon attache à la vie ainsi que mon espoir de vivre. Je ne me suis jamais sentie aussi proche de l’éternité. L’opération en elle-même s’est bien déroulée (ils retirèrent 90% de la tumeur), mais je fus plus ou moins sans conscience durant la semaine qui suivit. Le neurologue qui me suivait fit une erreur à ce moment et me donna deux molécules médicamenteuses qui n’étaient pas censées être combinées. Leur interaction provoqua une crise d’épilepsie et ma respiration s’arrêta. Cela dura 30 minutes et pendant ce temps l’équipe médicale se battait pour ma vie. Ils contrôlèrent finalement la situation en me mettant sous anesthésie générale et ils me ramenèrent doucement à la vie 24h plus tard, sans savoir si j’aurais des séquelles au cerveau, des paralysies, des attaques cérébrales ou autres complications. Je me réveillai ce soir-là envahie par un profond désespoir. Désespérée de savoir que quelque chose de terrible m’était arrivée physiquement. Mes bras étaient attachés le long du lit et une infirmière était en train de poser des électrodes sur ma tête pour l’électroencéphalogramme.

J’étais complètement impuissante.
Désespérée de ressentir la plus grande douleur physique jamais ressentie. Désespérée de me savoir toujours vivante. Pour moi, c’était un retour à la vie difficile que je n’étais pas prête à accepter. Les mots de Job firent écho en moi : « Pourquoi donner la lumière du jour au malheureux ? Pourquoi donner la vie à ceux qui sont découragés et déçus ? Ils attendent la mort, mais elle ne vient pas. Ils la cherchent plus qu’un trésor. Ils seraient fous de joie, et ils danseraient s’ils trouvaient leurs tombes ! » (Job 3, 20-22)

Bien que les mois de rétablissement soient difficiles, les premiers résultats étaient positifs : il n’y avait pas de séquelles cérébrales, je fus progressivement sevrée de tout traitement médicamenteux et les migraines s’arrêtèrent. Les émotions demeuraient cependant intenses à chaque fois que je devais me confronter à l’IRM annuelle. Chaque IRM postopératoire indiquait une grosseur de l’hypophyse, mais pas une croissance significative. Juste après avoir quitté les Etats-Unis et déménagé en Europe de l’est en 2009, les migraines recommencèrent et je fus hospitalisée et remise sous traitement médicamenteux.

J’ai vécu des moments vraiment horribles durant les trois dernières années, des épisodes qui durèrent jusqu’à 12 heures, alors que j’étais seule chez moi. A chaque fois que je me trouvais dans cet état de désespoir, de douleur et d’isolement, je voulais simplement mourir. Partager mes problèmes de santé avec les gens et leur expliquer à chaque pic de migraine que je n’étais pas en train d’avoir une attaque était épuisant émotionnellement.
Quand j’ai emménagé en France en 2010, je voulais être traitée comme une personne normale sans le drame d’avoir une tumeur au cerveau. Donc, à part les fois où j’étais prise de migraine devant les autres, j’essayais de garder ça le plus discret possible. A la même époque, je commençai sérieusement les recherches sur le sujet de mémoire de mon master : « L’esthétique de la mort : expressions artistiques de la spiritualité dans la France postmoderne ». Cet hiver fut terriblement sombre et le travail sur mon mémoire intensifiait tout ce que je ressentais. Je me sentais malade quand je travaillais sur mes sources à la bibliothèque.
J’ai commencé à faire de terribles cauchemars et à avoir de graves pensées suicidaires. Un matin une amie m’écrivit pour me dire qu’elle était interpellée par la façon dont mes recherches m’affectaient et elle me demanda si j’avais peur de mourir.
Alors tout devint clair pour moi.
Je n’avais pas peur de mourir (cela je le savais depuis longtemps).

En fait, j’avais peur de vivre.
Peur de vivre avec toutes les incertitudes dans ma vie, avec la douleur persistante et le désespoir que je ressentais à cause de mon problème à la tête. Peur de rester dans cet endroit sombre, toute seule, toute ma vie. Je marchais le long de la Seine un jour de février quand je compris que je n’avais jamais accepté la vie que Dieu m’accordait et me ré-accordait encore. Depuis l’opération, je vivais comme si je n’en avais plus pour longtemps, et, volontairement, je ne voulais pas m’ancrer trop profondément dans cette vie sur terre. Les mots « Respirer la vie » résonnaient dans ma tête ce jour-là. Mais que cela pouvait-il bien vouloir dire, me demandai-je. Alors à ce moment, je me suis simplement concentrée pour prendre une grande inspiration, et je sentis vraiment la vie alors que l’air frais entrait en moi. A ce moment, j’étais en retard pour faire mon IRM annuelle, et, parce que je faisais transférer mon dossier à un neurochirurgien en France, cela prenait beaucoup de temps pour faire avancer les choses.

Cependant, toutes les émotions ressurgirent alors que je me préparais à aller faire mes examens médicaux. Et si la tumeur avait grossi ? Et si je devais à nouveau me faire opérer ? Et si j’étais encore privée d’une autre année de vie ? Alors finalement, je brisai le silence et annonçai à mon église dans quelle situation je me trouvais, parce que je savais que j’avais besoin de leur soutien, quelle que soit l’issue. Ils répondirent tout de suite qu’ils allaient prier pour ma guérison.

Je rencontrai mon pasteur et verbalisai enfin mon attente de toute une vie d’une mort prochaine. Je commençai à comprendre que je m’étais soumise moi-même (et mon corps) à un « esprit de mort » qui ne venait pas de Dieu. Je compris que je devais me repentir et y renoncer et accepter la vie. Dans un premier temps, l’idée de vraiment « accepter » la vie était effrayante, mais nous avons prié et je me suis repentie d’avoir cru à un mensonge pendant tant d’années ; je réclamai ma vie en Jésus, et l’acceptai comme un cadeau de Dieu pour moi. Nous avons prié que Dieu guérisse mon corps et me donne une nouvelle vie.

Une semaine après, j’avais une IRM et d’autres examens et le neurochirurgien dit qu’il n’y avait aucune trace de tumeur.

J’insistai et demandai si l’hypophyse était toujours élargie. Il dit qu’elle était de taille tout à fait normale. De plus, les migraines cessèrent à partir de ce moment. C’est incroyable pour moi de vivre sans ce fardeau. Je détruisis huit mois de travail sur mon mémoire et recommençai à zéro avec un nouveau sujet en mai. Sept mois plus tard, le projet était terminé. Cette année entière fut difficile, alors que j’apprenais à lâcher tant de condamnations sous lesquelles je vivais. Apprendre à embrasser et accepter la vie fut un processus plus difficile que je ne l’aurais imaginé. Cela nécessita d’envisager absolument tout dans une nouvelle perspective. Pour la première fois je considérai où en serait ma vie dans dix ans, plutôt que de me limiter à une année à la fois. Mes jours sont comptés, mais je ne peux pas savoir s’ils seront nombreux ¬− ni s’ils seront peu nombreux. J’ai dû apprendre à recentrer ma vision des choses de « la mort est un gain » à « la vie, c’est le Christ » (Phil 1, 21).

Pour les chrétiens, les deux sont vrais, mais ne pas accepter l’un des aspects peut être préjudiciable. J’ai toujours très envie d’habiter la maison du Seigneur, mais j’ai été libérée de pensées de mort. Je partage cela pour témoigner de la puissance de Dieu dans ma faiblesse, de comment il nous guérit des endroits sombres de nos vies et nous ramène de la mort à la vie. Je suis reconnaissante à tous ceux qui ont prié pour moi pendant et après l’opération en janvier 2007. Vous étiez ceux qui se battaient pour moi quand j’avais baissé les bras. Et merci à ma communauté d’Eglise en France. Vous avez cru pour moi quand je manquais de foi. De façon tout à fait tangible, vous avez manifesté Christ.

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