Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel (Notre Père 4)
Prédication sur ce thème, mais différente de celle donnée au temple du Marais à Paris le 21 octobre 2007
Lectures bibliques :
Psaume 40:1-12
Romains 12:2
Prédication
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Voici quelques petits mots vite dits, vite oubliés ! L’intention est louable de souhaiter que le bon vouloir de Dieu se réalise plutôt que les caprices des hommes. Mais c’est vite dit, car, après tout, que savons-nous de cette volonté de Dieu ? N’allons-nous pas un peu vite à l’appeler pour la terre et pour le ciel, alors que nous ne connaissons pas très clairement son contenu, sa teneur pour le monde et pour nous ? Comme Paul sur le chemin de Damas, nous sommes amenés à poser la question : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »
Les uns et les autres, nous avons été mis au courant du projet global de Dieu pour le monde : un monde construit, aimé, pardonné à tout prix, même s’il a fallu au Seigneur donner beaucoup de lui-même, quoi qu’il lui en coûte. Projet d’amour, projet de paix, projet de bonheur et non de malheur. Et nous entendons en arrière-fond tous ces textes tirés de la Bible auxquels nos oreilles sont habituées, et qui nous disent ce projet général de salut et de joie. C’est là un des piliers les plus fondamentaux de notre spiritualité que d’être portés par une parole solide, un énoncé vraiment riche de ce désir de Dieu par rapport à l’humanité.
La difficulté et la confusion sont pourtant possibles : souvent nous nous surprenons à comprendre la volonté de Dieu comme une sagesse et un programme d’action simple et lisible. « Tu veux savoir ce que le Seigneur veut ? Ouvre le Livre et lis ». C’est vrai, en un sens, mais cela peut être parfois catastrophique. Car si nous pouvons saisir le cœur même de la bonne nouvelle dans la lecture du premier testament, des évangiles et de tous les autres récits bibliques, il ne nous est pas possible immédiatement d’y trouver l’expression du désir de Dieu pour nous-mêmes, précisément, dans la situation où nous nous trouvons, avec les questions que nous nous posons. En somme, en cherchant la volonté de Dieu, nous pouvons tomber dans une tentation très forte, la tentation « religieuse », qui consiste à penser que l’on peut se situer dans le désir de Dieu par la seule écoute et par l’application concrète dans nos vies de préceptes bibliques. Tentation d’autant plus dangereuse qu’elle a l’air pieuse et de bon aloi, qu’elle a le goût d’une fidélité que nous sommes en droit de souhaiter. Et d’aucuns ouvrent leur bible au hasard pour chercher du sens et pour savoir que faire dans les situations de conflits : ils lisent alors « heureux qui saisit tes nouveaux-nés, et les écrase sur le rocher » Psaume 137:9. Voyez le résultat.
« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; oui, Seigneur, je le veux, mais concrètement, sur ce petit bout de terre que constitue le temple de mon corps, comment faire pour que ce soit ta volonté qui soit faite ? Ta volonté pour l’humanité, j’en ai l’intuition, et encore… mais ta volonté pour moi ? J’ai bien entendu l’appel à la liberté, j’ai même au plus profond de mon cœur une loi d’amour que je reconnais comme la loi véritable : aimer Dieu, le prochain, les ennemis, même. Je sais que, si Dieu veut ça pour l’humanité, il le veut pour moi. J’essaye de tisser, avec mes frères et mes sœurs, une fidélité personnelle et collective qui fasse écho à la bonne nouvelle prêchée, entendue, écoutée. Mais ma difficulté à vivre vraiment sur cette voie qui s’offre à moi me fait souvent préférer le confort égoïste qui consiste à se plonger corps et âme dans la contemplation d’une parole devenue sagesse, qui s’est figée dans une éthique, dans une théologie, dans une religion. »
On peut bien passer une vie à scruter les Ecritures, à y lire le désir de Dieu pour l’humanité entière, celle d’hier, d’aujourd’hui et de demain, sans se demander une seule fois quel est ce désir de Dieu pour moi, et pour moi en tant que personne, pas seulement en tant que digne représentant de l’espèce humaine, en tant que membre du petit peuple des suiveurs de Dieu.
« Seigneur, je veux bien faire ce que tu veux, mais que veux-tu, au fait ? Qu’attends-tu de moi ? Quelle est ta volonté pour moi ? Et quelle est ta volonté pour cet échantillon d’humanité qu’est mon Eglise, le groupe auquel j’appartiens, qui ne peut résumer à lui seul l’humanité entière ? Quels sont ces vœux que tu fais précisément pour moi et pour les miens ?
Levons le doute très rapidement : ne vous attendez pas à ce que je vous dise ici et maintenant quel est le désir de Dieu pour vous personnellement, pour vous en tant que communauté et pour vous en tant que personne. Je ne vais pas vous livrer maintenant cette facette personnalisée du désir de Dieu qui fait de chacun d’entre vous ce matin une personne unique devant Dieu, aimée pour elle-même, pour ce qu’elle est, par le Christ Jésus.
J’aimerais seulement que les uns et les autres puissions nous poser en vérité la question de la volonté de Dieu pour nous, et que nous posions maintenant et à l’avenir cette question au Seigneur lui-même, afin qu’il nous donne à connaître ses projets.
Nous ne pouvons plus nous satisfaire d’une volonté de Dieu qui serait tellement universelle quelle n’aurait rien de personnel et qui nous ferait perdre notre côté « unique devant Dieu ». A l’écoute des Ecritures, dans la prière ou au fil des conseils de mes frères et de mes sœurs, Dieu me fait connaître ce qu’il veut, ce qu’il veut pour tous les hommes, l’essentiel, mais dont je n’arrive pas à me satisfaire ; il me fait surtout connaître ce qu’il veut pour moi.
Dans les temps qui viennent, le Seigneur va faire sortir le petit peuple réformé français de la tentation religieuse et intellectualiste dans laquelle il s’est laissé piéger. A nous qui nous sommes figés dans des traditions aussi rigides que celles que nous contestions chez les autres, chez les catholiques, à la création de notre Eglise, à nous va s’offrir une nouvelle naissance quand nous serons expulsés de la matrice des habitudes, des liturgies éteintes et des réflexes identitaires.
Car nous nous sommes laissés tenter par une foi devenue sagesse plutôt que source bouillonnante ; nous avons sacrifié aux idoles de l’humanisme en délaissant la folie de l’incarnation, et nous avons réduit la volonté de Dieu à une anthologie, un « best-of des aphorismes du petit Jésus », plutôt que d’appeler sur nous le feu de la Pentecôte et la vitalité de l’Esprit-Saint.
Nous attendons Noël, nous attendons Pâques, mais nous n’attendons plus le retour du Seigneur. C’est bien ça, nous nous sommes endormis dans le religieux, dans le liturgique, bercés par de belles théologies. Nous avons perdu l’habitude d’attendre Dieu lui-même plutôt que les célébrations de son Eglise, d’écouter sa Parole vivante plutôt que les élucubrations de ses penseurs, de chercher sa face plutôt que de nous satisfaire des clichés d’une spiritualité très sympathique mais trop sage.
Dans les temps qui viennent, le Seigneur va faire sortir le petit peuple réformé du lit douillet dans lequel il s’est endormi. Il va nous donner à entendre et à voir la proximité de son Royaume. Il va faire lever des prophètes et rêver les vieillards, comme aux temps de l’Exil. Il va nous montrer de bien des façons combien sa présence n’est pas une affaire de sagesse mais en fait une question de confiance et de puissance. Dieu va surgir dans notre aujourd’hui pour que nous cessions de croire que nous sommes suspendus entre un passé héroïque bimillénaire et l’avenir d’un Royaume qui semble souvent si lointain.
Depuis quelques temps déjà l’Esprit du Christ surgit de façon étonnante et souvent détonnante dans la vie de nombreuses personnes, dans les Eglises et hors des Eglises. Le Seigneur aime et désire le retour de ses bien-aimés, il se donne à connaître aux uns et aux autres. Il nous rappelle qu’il nous attend, là, juste là, devant, sur le chemin, proche.
Et il nous dit ce qu’il attend de nous.
Alors vraiment, si vous avez le sentiment que jamais le Seigneur ne vous a fait connaître sa volonté pour vous, que jamais il ne s’est fait plus précis, qu’il ne vous a pas offert autre chose que de suivre le programme général et merveilleux des évangiles, si c’est là votre sentiment aujourd’hui, demandez-lui, osez lui demander la grâce d’une révélation de son désir pour vous. Sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Que le petit lopin de terre de votre existence ne soit pas épargné par le souffle puissant de celui qui a ramené Jésus vers la vie. Que vos hésitations, vos questions et vos culpabilités ne fassent plus écran devant Celui qui désire votre bonheur plus encore que vous ne pouvez le désirer pour vous-mêmes.
Le Royaume s’est approché de vous ; le Seigneur vient.
Que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Amen