A quoi je sers ? Pourquoi je sers ?

Par Caroline

Servir… Dans la culture française, voilà un mot qui n’a pas toujours bonne presse : pour beaucoup il évoque d’abord la contrainte, la soumission, voire même l’objectivation. Il nous ramène aussi à la lutte ancestrale entre serviteurs et maîtres, dont Marivaux fit le sujet d’une de ses pièces comiques (« L’île aux esclaves »). 

Dans l’une de ses paraboles, Jésus nous raconte l’histoire d’un homme qui a 2 fils et qui demande à l’un puis à l’autre de venir travailler dans sa vigne (Mt 21,28-32). Le premier dit non, puis se ravise et vient travailler. Le second dit oui, mais finalement il n’y va pas. S’adressant aux pharisiens, Jésus demande : « Lequel des deux a fait la volonté du père ? ». Et tous répondent en choeur : « le premier ». Et Jésus de conclure : «  Les collecteurs d’impôts et les prostituées vous précèdent dans le règne de Dieu… ». 

Cette parabole traite de notre obéissance à la volonté de Dieu, mais elle illustre bien aussi la difficulté que nous avons avec le service. Chacun à leur manière, les deux fils manifestent une résistance quand il s’agit de servir : l’un par son refus premier, l’autre par sa dérobade finale. La parabole montre ainsi qu’ils sont tous les deux coincés dans une logique d’aliénation. Pourtant, la parabole ne parle ni de maître ni d’esclaves ou de serviteurs mais d’un homme qui appelle ses fils et les invite à travailler dans sa vigne. 

Un père avec ses fils… Ici l’appel à entrer dans la vigne peut être compris comme une marque de confiance, une invitation à se saisir de leur héritage : le père confie à ses fils sa vigne, comme si c’était la leur. Il s’agit d’une grâce et non d’une punition.

Esclaves ou enfants de Dieu ? 

Nous aussi, nous sommes souvent prompts à réagir comme les deux fils. Nous voyons le service comme une contrainte, ou bien comme une manière de nous valoriser, de donner du sens à notre vie, plutôt que comme une réponse à la grâce de Dieu. Dans son ouvrage magnifique De la vie communautaire  écrit en 1938, Dietrich Bonhoeffer nous invite à questionner notre manière de servir et à changer de perspective. 

Nous cherchons dans le travail que nous effectuons, ou dans les services que nous rendons une gratification, une valorisation ou une compensation. « Servir » revient ainsi à donner du sens à notre vie (« je sers donc je suis »), ou à justifier notre existence («parce que tu le vaux bien »)… Nous sommes esclaves de nous-mêmes, ou d’un Dieu qui nous demande sans cesse des comptes ; esclaves de notre besoin viscéral de nous justifier, d’atteindre la perfection ou la sainteté.

Or, ce que la Parole de Dieu nous dit, notamment dans l’épître aux Romains, c’est que cette quête est vaine : aucun être humain n’a la capacité de se justifier lui-même. Dès que nous passons notre vie au crible des commandements de Dieu, nous découvrons que nous sommes loin de la cible, et passibles d’un jugement sans appel. Tous nos efforts pour nous « faire valoir » aux yeux de Dieu (ou de nous-mêmes), pour mériter notre salut, pour justifier notre existence sont vains. 

Mais Dieu, par amour pour nous, a choisi de nous sauver et de nous justifier. En Christ, il est venu pour nous faire grâce et nous libérer de ce péché qui consiste à vouloir être juste par nous-mêmes. 

Pour nous tous qui avons été justifiés par Christ, servir ne devrait donc plus rien avoir à faire avec l’obéissance ou la contrainte. Car nous étions tous indignes et  « non qualifiés »  pour être au service de Dieu, mais lui a choisi de faire de nous, non plus des serviteurs, mais ses enfants. Il nous a adoptés, justifiés, graciés. Et même plus que cela : en Christ, Dieu s’est fait serviteur pour nous ! Il a choisi librement de « nous servir » pour nous montrer la voie de la liberté et de l’amour dans le service.
Alors si nous sommes ses enfants, le service auquel il nous appelle n’a plus rien à voir avec une contrainte ou un « dû » : c’est une joie et un privilège qui reviennent aux enfants de Dieu.  Et le champ dans lequel Dieu nous appelle à travailler, c’est ce monde qui lui appartient, et dont il veut faire son Royaume, notre héritage. 

Des serviteurs inutiles ?

Dans une autre parabole (Luc 17, 7-10), Jésus revient sur cette question du service et conclut en disant à se disciples  : « C’est la même chose pour vous maintenant. Quand vous faites tout ce que Dieu vous commande, dites : “Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait seulement ce que nous devions faire.”  » 

En employant l’expression de « serviteurs inutiles », Jésus insiste sur le fait que notre travail, notre engagement dans le service ne pourront ajouter quoi que ce soit à la grâce de Dieu. Puisque notre existence est justifiée par Dieu, puisque nous n’avons plus rien à payer pour mériter notre place ici-bas, alors tout ce que nous faisons, nous pouvons le faire gratuitement, juste par amour pour Dieu. Voilà qui change singulièrement la perspective, non ?

C’est parce que Dieu nous a aimés le premier, parce qu’il a fait de nous « ses enfants » que nous pouvons joyeusement entrer dans le service, et travailler dans sa vigne. Non par contrainte, mais parce que  son champ est devenu le nôtre, notre bien commun.

Entrer dans le service ne nous justifiera en rien, ne nous fera pas gagner des points, ne nous rendra peut-être même pas meilleur : mais c’est le signe de notre libération, de notre liberté d’enfants de Dieu !

Du coup, il n’y a pas de petits ou de grand services, ni de petits ou grands serviteurs :

nous sommes tous des serviteurs, des serviteurs inutiles, nous faisons joyeusement notre part de travail dans ce champ que Dieu nous a donné, nous sommes humblement au service du règne de Dieu…

Au service les uns des autres

L’une des conséquences de notre libération par Dieu, c’est que nous pouvons cesser de nous comparer les uns aux autres et de nous placer en juges de nos frères et sœurs.  À l’image de Christ qui a lavé les pieds de ses disciples, nous sommes invités à nous mettre au service les uns des autres, dans l’amour et l’humilité. 

«  Ce n’est pas la justification de l’homme par l’homme et par conséquent l’esprit de violence qui doit régner dans la communauté, mais la justification de l’homme par la grâce et par conséquent l’esprit de service mutuel. Celui qui a connu un jour la miséricorde de Dieu dans sa vie ne désire plus qu’une chose : servir les autres. Il ne peut plus trouver d’attrait à jouer le rôle prétentieux d’un juge, mais il désire pendre rang parmi les pauvres et les petits, là où Dieu l’a trouvé lui-même. » écrit Dietrich Bonhoeffer.

Être au service les uns des autres, cela n’a rien de déshonorant ni de dégradant, bien au contraire : c’est le signe même de notre liberté, et le lieu où sans cesse nous serons ramenés à ce que Dieu a fait pour nous dans son immense bonté. Être au service les uns des autres, à l’image de ce que Christ a fait, cela veut dire s’écouter, s’entraider, se porter et supporter les uns les autres, et enfin s’exhorter mutuellement par la Parole. Tout un programme à méditer pour cette nouvelle année en Eglise…

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