Vivre le carême, sans avoir une tête de carême ???

Par Claude

“Tête de carême”, “face de carême”, “figure de carême” : ces expressions sont passées depuis longtemps dans le langage commun pour désigner un visage triste et pâle. Si le carême évoque un visage triste et pâle, c’est évidemment parce qu’il est associé de longue date à la perspective de privations et d’interdits de toutes sortes. Mais cette mauvaise réputation est-elle vraiment fondée ?

Il est donc important de comprendre d’abord pourquoi le carême a une image aussi grise, si l’on veut ensuite tenter de lui redonner des couleurs !!


Pour mémoire, le mot “carême” vient du latin “quadragesima” qui signifie “quarantième”. Le carême commence donc le quarantième jour avant Pâques, autrement dit le mercredi des Cendres, et il s’achève le Jeudi saint. Cette période de quarante jours rappelle aux chrétiens les quarante jours de la tentation et du jeûne de Jésus dans le désert, après son baptême par Jean-Baptiste et au début de son ministère.

Institué au IVème siècle, le carême est conçu comme un temps de dévotion et de pénitence où alternent des jours de jeûne et des jours d’abstinence, appelés jours maigres.

Outre le jeûne et la sobriété en matière d’alimentation (notamment la tradition consistant à substituer le poisson à la viande), l’aumône et la prière sont des modalités majeures dans l’accomplissement du carême.

Certains usages ont évolué au fil des siècles : il n’y a plus aujourd’hui de restrictions portant sur les relations sexuelles ou sur la célébration d’un mariage pendant le carême.

Par contre, un mot reste interdit pendant ce temps de pénitence qu’est le carême : “alléluia”. En effet, alléluia, dans le répertoire de chants liturgiques, évoque la résurrection de Jésus. On attend donc le matin de Pâques pour chanter de nouveau  “alléluia” et pour proclamer : « Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ».

Que le carême soit un temps de pénitence ne suffit pas à expliquer sa mauvaise réputation. Ce qui a contribué à la mauvaise image du carême, ce sont certes les interdits rigoureux qui ont prévalu pendant des siècles, mais c’est plus encore le fait que le carême débute le lendemain du mardi gras.

Le mardi gras n’a pas de caractère liturgique, mais l’Eglise lui a conféré une légitimité, en l’inscrivant comme une fête dans le calendrier ; de plus, ce faisant, elle a cherché à christianiser une célébration païenne. En effet, le mardi gras trouve son origine à l’époque romaine, dans les calendes de mars, qui fêtaient la fin de l’hiver et le réveil de la nature.

Pour mardi gras, la tradition était de manger des plats frits et sucrés, car il fallait utiliser les œufs et les graisses que l’on ne pourrait pas manger pendant le temps de pénitence et qui risquaient de se perdre.

Fêter mardi gras, c’est donc fêter l’abondance juste avant que ne commence l’abstinence.

Et puis, le mardi gras marque aussi la fin du carnaval. Comme le mardi gras, le carnaval a des précurseurs païens (fêtes en l’honneur de Dionysos, Lupercales à Rome…). À partir du XIe siècle, des pratiques carnavalesques se déroulent à la fin de l’hiver, dans différentes régions d’Europe.

Le carnaval (du latin “carnelevare”, signifiant “enlever la viande”) est le temps de la transgression des règles et de l’inversion des valeurs, le temps de la licence et de l’excès.

Le “Combat de Carnaval et Carême” est un tableau réalisé par le célèbre peintre flamand Pieter Brueghel l’Ancien en 1559, que l’on peut voir au Kunsthistorisches Museum de Vienne.

Dans la partie gauche du tableau, on voit une auberge, avec son lot de beuveries, de gens ivres, de scènes burlesques, de jeux de hasard…

Dans la partie droite du tableau, est représentée une église, vers laquelle se dirigent des fidèles et près de laquelle on distribue des aumônes.

Ce face-à-face entre Carnaval et Carême, entre excès et austérité, est matérialisé dans une parodie de tournoi médiéval que l’on découvre en zoomant sur le bas du tableau et qui oppose un personnage ventru, juché sur un tonneau et brandissant une brochette de viande, et un pénitent émacié portant la bure et brandissant deux maigres poissons.

Le tableau de Brueghel, qui place sur un même plan carnaval et carême et suggère par là qu’ils sont indissociablement complémentaires, vient illustrer de façon exemplaire l’inanité du projet de l’Eglise qui visait à rendre le carême plus acceptable en permettant les outrances du mardi gras et du carnaval. Le résultat fut, à l’inverse, que l’attractivité du mardi gras et du carnaval augmenta, tandis que le carême était de plus en plus mal vécu… et que les “têtes de carême” se multipliaient !!

Au demeurant, quel fondement existe-t-il à toutes les formes d’excès qui sont pratiquées pendant le mardi gras et le carnaval ? Aucun, bien sûr. Outre qu’elles sont d’origine païenne, ces célébrations sont contraires à ce à quoi la Parole de Dieu nous exhorte en toutes circonstances :

« Conduisons-nous honnêtement, comme en plein jour, sans orgie ni ivrognerie, sans immoralité ni débauche, sans dispute ni jalousie. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne vous préoccupez pas de votre nature propre pour satisfaire ses convoitises » (Romains 13 :13-14)

Alors, comment pouvons-nous vivre le carême, dans les Eglises issues de la Réforme protestante ? Comment pouvons-nous vivre le carême, nous qui sommes sous le régime de la grâce, nous qui n’avons pas besoin des œuvres pour recevoir le salut ?

La réponse est simple : accueillons le carême comme un don, comme une opportunité (de jeûne, de prière, de préparation, de cheminement, de conversion), et saisissons-nous (ou pas) de ce temps, dans la « glorieuse liberté des enfants de Dieu ».

Cette semaine, nous arrivons au mitan du carême.

Trois semaines encore nous séparent du Jeudi saint… Puisque le mot “carême” se rattache au nombre quarante, nous pouvons, si nous le souhaitons, mettre ces semaines à profit pour relire les différentes occurrences des quarante jours dans la Bible, afin de méditer, par exemple, sur :

– le péché et le jugement, avec les 40 jours du Déluge,

– la Loi et la grâce, avec les deux séjours de 40 jours de Moïse sur le Sinaï,

– la foi et l’incrédulité, avec les 40 jours de l’exploration de Canaan,

– la faiblesse humaine et la fidélité de Dieu, avec les 40 jours de marche d’Elie jusqu’à Horeb,

– le combat et la victoire sur l’ennemi, avec les 40 jours de Jésus au désert.

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Quelle que soit la façon dont chacun d’entre nous vit son carême, une chose est sûre, frères et soeurs : nous ne faisons pas des “têtes de carême”, nos visages sont sereins et lumineux, car notre Dieu nous offre en abondance son amour et sa paix.

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