“Avons nous deux Evangiles, l’un pour les hommes, et l’autre pour les femmes ?”
Par Nathalie
Mais qui a dit cela ? Et quand ? Hommes et femmes sont-ils égaux dans la foi ? Voilà l’interpellation d’une théologienne méconnue du 16ème siècle, Marie Dentière.
La différence de statut entre les hommes et les femmes n’est pas un sujet épuisé. Aujourd’hui encore, la place de la femme dans notre société est en débat. Les sociétés dans leur grande diversité, bien souvent, assignent une place aux femmes qui les cantonnent encore souvent aux rôles de mère et d’épouse avant tout. Pourtant, il y a eu des Déborah, des Phoebe, des Marie Durand, des Marie de Navarre… et des Marie Dentière ! Juge, disciple, résistante, femme politique, écrivaine, théologienne… des femmes qui ne sont ni la fille de X ni la femme de Y. Oui, la Bible, la Réforme et notre Eglise sont remplies de femmes remarquables ! Encore faut-il qu’on les laisse apparaître comme telles. Y compris dans l’expression de leur foi.
Femme… et / ou épouse ?
Marie d’Ennetières ou Dentière est une théologienne et historienne qui a vécu au temps de Luther et Calvin. Elle naît vers 1495 à Tournay et décède en 1561 à Genève. Elle reçoit une éducation catholique et devient prieure d’un couvent. Mais vers 1520, elle reçoit les « idées nouvelles » (de la Réforme) et s’y convertit en 1524. Elle choisit sa foi, ou plutôt sa façon de la vivre. Elle quitte alors le couvent… Une femme ne pouvant pas vivre seule dans la société du XVIème siècle, sauf à être veuve, et encore (cela vous rappelle quelque chose ? Ruth et Naomi ? ), le couvent était souvent pour elle la seule solution. Mais Marie en sort pour vivre pleinement sa foi nouvelle. Alors, elle se marie. Son premier mari est prédicateur : Simon Robert est un ancien prêtre, membre du cercle de Meaux. Ce cercle est le premier lieu de réflexion de la Réforme en France. Leur connivence intellectuelle et d’âme est donc un fondement de leur couple et de la famille qu’ils créent. Ils seront le « premier couple français à accepter une mission pastorale pour l’Église réformée ». Son second mari est lui aussi prédicateur, Antoine Froment, collaborateur de Guillaume Farel, réformateur de la Suisse, qui appellera Calvin à Genève. Farel et Calvin, tant l’un que l’autre ne la considèrent que comme l’épouse de son mari, pasteur. Certes très utile sur certains combats (le comportement des femmes comme pour argumenter sur la sortie des femmes des couvents ou la rédaction d’une préface au Sermon de Calvin sur les habits des femmes), elle n’est pourtant pas reconnue comme théologienne par les Réformateurs, qui la « réduisent » à son rôle d’épouse de prédicateur. Malgré cela, Calvin finira par collaborer avec elle… sur la modestie des femmes! Dans son entourage, on n’hésite pas à vanter ses qualités de mère et la valeur de sa foi, mais on rejette ses engagements en tant que théologienne.
Théologienne
Car Marie étudie, réfléchit, écrit, et parle en public, très loin de l’idée commune selon laquelle les femmes doivent se taire dans les assemblées ! Elle a été bouleversée que l’Eglise catholique cache les écritures à tout un chacun. Dans sa foi, Marie est audacieuse et pleine d’une énergie que ses contemporains admirent.
Elle entreprend même la rédaction d’un texte, Epistre très utile, pour défendre les principes de la Réforme. Adressé à la reine de Navarre, Marguerite, sœur de François 1er, c’est un traité théologique qui a été publié en 1539 et qui expose une doctrine proche de celle de l’Église genevoise pré-calvinienne influencée par l’esprit de Meaux. Elle souhaite que la parole de Dieu, « l’Evangile de Jésus Christ », soit accessible à tous, hommes et femmes, et partagée par tous.
Elle critique la tyrannie de l’Église qui empêche les femmes de discuter entre elles, mais aussi avec les hommes, de questions religieuses. Son point de départ est l’affirmation de la Bible comme seule source de toute norme théologique. Elle prend très au sérieux le sacerdoce universel et ne voit pas pourquoi les femmes en seraient exclues. Même – et surtout – pour la prédication ! Et elle ne cesse de relever le rôle des femmes dans les écritures.
Je demande : Jésus n’est il pas aussi bien mort pour les pauvres ignorants et idiots, que pour Messieurs les rasés, tondus, mitrés ? Est-il seulement dit “allez prêcher mon Evangile à Messieurs les sages et docteurs attitrés ?”. N’est il pas dit à tous ? Avons nous deux Evangiles ? L’un pour les hommes et l’autre pour les femmes ? L’un pour les sages et l’autre pour les fous ? (1 Co 1). Ne sommes-nous pas Un en notre Seigneur, au Nom duquel nous sommes baptisés ? Ou le sommes nous au nom de Paul, Apollon, du Pape ou de Luther ? N’est ce pas au nom du Christ ? Certes il n’est point divisé, il n’y a point de distinction du Juif au Grec, car envers Dieu, il n’y a point d’acception de personne (Rm 2), (Eph 6). Tous les hommes sont un en Jésus Christ, il n’y a ni mâle, ni femelle, ni serf, ni homme libre (Ga 3). “Marie Dentière – L’Epistre très utile (1539) [p. 53]“
Son livre a été considéré comme l’expression d’un féminisme radical, car Marie réclame le droit pour les femmes d’intervenir dans l’Église. Elle plaide en effet pour une égalité de traitement entre hommes et femmes quant à leur capacité à comprendre les textes sacrés et à les enseigner. La Bible doit être la seule référence au-dessus des traditions.
L’ouvrage est imprimé à Genève en mars 1539, alors que Farel et Calvin viennent d’en être expulsés, il est presque aussitôt saisi sur décision du Conseil de la ville, ce qui représente le début de la censure réformée de Genève. Marie est condamnée au silence. Et les femmes avec elle… Pour un temps !
En effet, en 2002, son nom est inscrit sur le mur de la Réforme à Genève, c’est d’ailleurs le seul nom féminin inscrit. Libre et déterminée, elle a ouvert aux femmes la voie du ministère pastoral, devenu une réalité de notre Eglise au 20ième siècle, et cette joie du dialogue autour des textes bibliques, ensemble.