Pardon (2/3) – Comment pardonner ?

Pardonner
Pardonner n’est pas une option pour ceux qui déclarent suivre Jésus. En effet, le pardon est un des principaux piliers de la foi chrétienne, mais surtout un vrai chemin de vie qui libère, chez moi et chez l’autre, la capacité à devenir vraiment humain.
En trois prédications, voici un petit parcours, qui, sans être une méthodologie, peut quand même constituer une incitation à vivre vraiment, jusqu’au bout, le programme du Christ.

Texte de référence : Matthieu 18:21-35
Prédication donnée le 11 septembre 2005 à l’Eglise Réformée du Marais.

Prédication

Il est tout à fait saisissant de voir le fossé qui sépare l’Evangile de la réalité de ce que nous vivons. Et c’est un pain bénit pour ceux qui veulent lancer des cailloux sur les chrétiens, car les pourfendeurs de l’Église ont malheureusement raison : voici une communauté qui place le pardon au centre de tout ce qu’elle croit, mais qui ne fait pas ce qu’elle dit. Ce n’est pas un fossé, c’est un chenal, ce n’est pas un chenal, que dis-je c’est un abîme ! Ce n’est pas un abîme, c’est un vide sidéral et sidérant !
Le décalage abyssal entre la réalité vécue par les chrétiens et le type de pardon que Dieu attend se dit merveilleusement dans le texte que nous avons relu à l’instant.
Pierre vient d’entendre Jésus expliquer la nécessité de la correction fraternelle. Il a écouté quelle doit être la vigilance des uns pour les autres, cette vigilance qui n’a pas pour but un jugement ou une condamnation, qui n’est pas là pour un flicage communautaire, mais pour donner à chacun une chance de se sortir de l’ornière où il aurait pu s’engager. Chacun peu aider un autre à nommer le problème dans lequel il se trouve. Et la conséquence immédiate de cette correction fraternelle, c’est le pardon. Car celui qui s’est amendé ne peut que trouver le pardon dans la communauté, il ne sera pas sous le coup d’une peine à perpétuité.
Pierre a tout à fait raison d’embrayer la conversation sur le pardon, car c’est bien à cela qu’il faut en arriver. Mais là où il se trompe, c’est dans la profondeur de sa démarche. Il se demande sûrement, intérieurement : « Comment je pourrais montrer que j’ai bien compris toute cette affaire, et qu’il faut pardonner beaucoup ? Je vais lui demander s’il faut pardonner trois fois, — ce qui est déjà énorme, tout le monde en conviendra —. Allez, non, je pousse le bouchon beaucoup plus loin, pardonner une fois par jour pendant une semaine, énorme ! »
Et voilà Pierre qui propose à Jésus de pardonner sept fois. Ce faisant, il a l’impression d’être zélé et a bon espoir que Jésus lui dise : « Tu sais, si vous pardonniez déjà trois fois, ce serait bien… — sourire de Jésus ». Et Pierre est tout à fait confiant puisque Jésus ouvre la bouche pour dire : « Je ne vous dis pas de pardonner sept fois… ». Ca y est, Pierre est content, il a visé juste… ? « pas sept fois… mais soixante dix fois sept fois ».
Appelez ça comme vous voudrez, pour moi, c’est une grosse claque.
Vous sentez le fossé ? Vous percevez l’abîme ?
Tout le décalage entre la volonté de Dieu et la réalité de l’Église se trouve dans ce dialogue.
Car Dieu attend de nous que le pardon ne soit pas seulement une éthique, une stratégie, ou une tendance. Jésus ne propose pas le pardon comme une mode ou une option qu’il serait vraiment très chouette de vivre, mais comme une loi, comme un mode de vie, comme une structure de l’existence chrétienne.
Il ne s’agit donc pas de dire qu’on va pardonner au bout d’un long processus de maturation et d’initiation chrétienne, mais bien de dire que tant qu’on n’a pas enclenché le processus fondamental du pardon dans sa vie, on n’est pas chrétien. Oui, je sais, c’est dûr, mais nous ne sommes pas ici pour entendre seulement des paroles qui nous caressent dans le sens du poil. La grâce, formidable, sans mesure, dont nous sommes au bénéfice est une grâce tout à fait gratuite, mais dont nous avons à tirer toutes les conséquences, dont la première est la nécessité d’entreprendre le chantier du pardon.
Je voudrais aujourd’hui rappeler des choses qui seront peut-être élémentaires, mais qui sont vitales en matière de pardon. Car il y a bien tout un processus qui se joue dans le pardon, tout comme la semaine dernière, nous voyions qu’il y avait toute une démarche progressive dans la correction fraternelle.
Le pardon se joue en quatre étapes.

1. Nommer les torts.
Bien des situations sont complètement pourries parce que, finalement, on ne sait pas vraiment les torts qui sont en jeu. On voue une haine à l’autre, parfois même au-delà des générations, mais la raison première a été oubliée de tout le monde. C’est vrai dans les familles et c’est vrai entre les peuples. Et c’est pour cette raison qu’on ne peut pas faire l’économie de cette première phase du pardon qui consiste à exprimer quels sont les torts. Il faut commencer à le formuler pour soi-même quand on nous a offensé. Quel est vraiment le tort ? En profondeur. Est-ce que c’est l’insulte elle-même ? Ou est-ce que c’est quelque chose de plus profond, qui a été touché par l’insulte ? Il est donc indispensable de prendre d’abord un temps d’introspection pour essayer de voir comment on a été touché et le pourquoi de notre peine ou de notre colère. Le nommer, pour nous, c’est déjà arriver à dissocier la personne de sa parole. Trop souvent nous faisons la confusion entre les deux. En effet, si quelqu’un me dit quelque chose de très dur, est-ce que je dois en vouloir à la personne ? Ou est-ce que je dois regretter cette parole ? Vous allez me dire que les deux sont tout à fait liés, mais en même temps, il est important de les dissocier. Car on peut la plupart du temps pardonner d’autant plus vite une parole qu’on aura saisi que celui qui l’a dite n’était pas totalement maître de ses mots. Les deux tiers des situations de pardon tiennent à des paroles dites ou des gestes faits qui n’étaient pas complètement intentionnels de la part de ceux qui les ont faits. On pardonnera donc d’autant plus facilement la personne qu’on aura compris que ce n’est pas son être qui vous a offensé, mais le produit de son être que sont la parole ou le geste. Cette différence n’est pas du pinaillage, elle est au contraire une discipline pour nommer les choses. Ce n’est pas Untel contre qui j’en ai, c’est contre ce qu’Untel a dit tel jour à telle heure.
Cette première phase qui consiste à nommer les torts est fondamentale, car nommer c’est prendre autorité. Nous ne le dirons jamais assez, nommer quelque chose, c’est déjà prendre le dessus. Tant qu’une souffrance n’a pas de nom, elle n’a pas d’issue ; tant qu’un tort est diffus, inexprimé, il a beaucoup de puissance, mais sa puissance s’effondre à partir du moment où il est reconnu et appelé par son nom.
C’est d’autant plus important que dans bien des situations de conflit ou de blocage, celui qui a offensé n’a même pas réalisé que ce qu’il avait dit ou fait était extrêmement difficile à encaisser pour celui qui était en face de lui. Comment pardonner quelqu’un qui n’a même pas idée qu’il nous a blessé ?

2. Décider qu’on va pardonner.
Après cette première étape pour nommer, vient un deuxième temps qui se joue en nous-mêmes. C’est le temps de la décision. Car pardonner est d’abord une décision qu’il faut prendre. Des tas de gens préfèrent enterrer une situation que de pardonner. Des tas de sagesses abscondes proposent d’oublier plutôt que de pardonner, de laisser aux vagues du temps le soin d’effacer les sillons dans le sable. Mais c’est vain, car un pardon qui n’a pas été donné est toujours une bombe à retardement. Il y a donc une décision à prendre. Pour un chrétien, je l’ai dit, ce n’est pas une option, c’est une condition sine qua non au fait de porter le beau nom de chrétien. Mais il n’empêche qu’à chaque fois, cela doit être une décision explicite. C’est pour cela qu’il est plus facile de vivre cette phase dans un dialogue fraternel avec un frère ou une sœur chrétiens, parce que cela nous oblige à dire, d’une parole qui nous engage vis-à-vis de l’autre : « Je me suis décidé à pardonner à Untel ». La décision est une étape fondamentale, et pourtant elle n’est pas l’aboutissement de tout. Pardonner est quelque chose de presque impossible au cœur humain. Nous sommes encore trop dans le règne de l’animalité et de la revanche pour pouvoir pardonner jusqu’au bout. C’est pour cela que cette décision de pardonner est essentielle mais qu’en même temps elle ne se suffit pas à elle-même.
Le cœur profond du pardon va se jouer dans la prière, quand nous allons demander à Dieu qu’il nous insuffle la force de pardonner. Voyez le paradoxe, en même temps ma décision de pardonner est centrale, et en même temps je n’en ai pas les capacités, et donc c’est la puissance du pardon de Dieu qui a été manifesté en Jésus, qui peut seule me donner les moyens de vivre à mon tour le pardon jusqu’au bout. Là encore, ne brûlons pas les étapes, car sans cette force qui vient d’en-haut, nous ne vivrons jamais le pardon à 100%, mais seulement partiellement, laissant des germes de discorde bien implantés dans le terreau de nos existences.

3. Aller dire qu’on pardonne
Vous voilà maintenant décidé, et par la prière, vous avez aussi reçu la force de vivre le pardon jusqu’au bout, il est donc temps de passer à l’action. Car il ne suffit pas de dire « C’est bon, au plus profond de mon cœur, je lui ai pardonné ». Cela ne veut rien dire ! En effet, le pardon intervient dans une situation relationnelle, il intervient entre deux personnes. Et ce qui ne serait vécu que par un seul n’a aucun impact sur le deuxième. Vous pouvez avoir pris les meilleures décisions du monde, vous pouvez avoir reçu la force de vraiment pardonner, jusqu’à l’impardonnable, mais si vous n’allez pas présenter ce pardon à celui ou celle qui vous a offensé, c’est comme si rien ne s’était passé, car la relation n’est pas restaurée, les réparations ne sont pas vécues, elles ne sont pas effectives. C’est une étape qui est très souvent oubliée, ce qui est terrible car quand elle n’est pas vécue, c’est comme si rien n’avait eu lieu. La paix intérieure que nous apporte la décision profonde de pardonner nous pousse souvent à nous dire que tout est bien qui finit bien ; et nous en venons à oublier la mise en actes de ce qui, pour l’instant, n’existe qu’en puissance.

4. Faire une alliance de pardon
Parfois, avant de donner la parole de pardon, nous l’avions dit dès le début, il faut prendre le temps de dire ce qui a offensé. Mais il ne suffit pas non plus de dire « Tu sais, je te pardonne pour ça ça et ça ». Le processus de pardon n’est pas encore à son terme une fois qu’on a partagé cette parole. Car, si le pardon est un mécanisme relationnel, il faut qu’il y ait une relation, un échange autour de ce pardon. Et l’étape finale, c’est la parole de celui qui avait offensé, qui, avec ses mots à lui, va dire « Je reçois ton pardon et t’en remercie ». L’échange d’une alliance renouvelée est indispensable sinon, il se peut que le pardon n’ait pas été reçu. Imaginez que la personne dise : « Oh non, je suis impardonnable, je m’en veux, je m’en veux ». Cela voudrait dire qu’il y a encore besoin de temps et que c’est l’autre qui n’a pas fait tout le chemin pour pouvoir accepter ce pardon. Parfois il faudra être patient car l’autre n’aura pas avancé à la même vitesse que nous, et il aura besoin de temps avant qu’on revienne, qu’on reparle ensemble, et que le pardon soit vraiment reconnu, nommé, accepté, consommé.
J’imagine qu’au fil de cette prédication vous aurez reconnu des situations où vous avez voulu pardonner et où ça n’a pas marché. Peut-être vous serez-vous aperçu que vous aviez brûlé une étape. Il est toujours possible, même très longtemps après, de revenir sur une offense et de faire toute ce travail de pardon.
Non seulement c’est toujours possible, quitte à raviver pour quelques instants de mauvais souvenirs, mais on ne peut pas vivre dans la paix tant que ce travail de pardon n’a pas été fait d’une façon globale. Je voudrais vous inciter à vivre cela le plus profondément possible, à ne pas vous priver du pardon, non seulement du pardon que l’on reçoit, mais aussi et surtout du pardon qu’on donne, car c’est vital pour pouvoir vivre heureux.
Dans cette communauté en particulier, il reste de nombreux pardons à vivre avant que notre témoignage ne puisse être vraiment recevable à l’extérieur. Il y a eu tant d’anathèmes dans les dernières années… il ne faudrait pas croire que le seul fait de les avoir mis dans un côté de notre mémoire suffise à les considérer comme réglés. Ce n’est pas en tout cas le chemin sur lequel le Christ nous appelle à marcher.
Dans nos familles aussi, il y a beaucoup à pardonner, car il y a beaucoup à vivre, et que la destinée des autres, leur parole et leurs choix ne nous sont pas indifférents.
Aussi, quand l’immensité de cette tâche semble nous déborder, c’est à celui qui avait la force de pardonner soixante-dix fois sept fois qu’il faut s’adresser.
Prions… Seigneur, c’est vers toi que nous nous tournons car tu es le Dieu de l’impossible et que le pardon est au-delà de nos forces. Nous te le demandons du plus profond de notre cœur, viens, équipe-nous, façonne-nous à l’image de ton Fils. Aide-nous à enclencher cette démarche indispensable car sans Toi, nous ne pouvons rien…
Amen

Pardon (1/3) – La correction fraternelle

Pardonner
Pardonner n’est pas une option pour ceux qui déclarent suivre Jésus. En effet, le pardon est un des principaux piliers de la foi chrétienne, mais surtout un vrai chemin de vie qui libère, chez moi et chez l’autre, la capacité à devenir vraiment humain.
En trois prédications, voici un petit parcours, qui, sans être une méthodologie, peut quand même constituer une incitation à vivre vraiment, jusqu’au bout, le programme du Christ.

Textes de référence : Ezéchiel 33:1-9 et Matthieu 18:15-20
Prédication donnée le 4 septembre 2005 à l’Eglise Réformée du Marais.

Prédication

« Si ton frère a péché, reprends-le. » (Matt 18,15) – Voilà un langage qui n’est pas politiquement correct ! Non mais, de quoi je me mêle ? Chacun son chemin, il fait ce qu’il veut ton frère, c’est sa vie, c’est son choix !
« Mais voici ce qui peut arriver : Le guetteur voit venir les soldats ennemis. Il ne sonne pas de la trompette, et le peuple n’est pas averti. L’ennemi arrive et tue quelqu’un. C’est la faute du guetteur, et je lui demanderai des comptes pour cela. » (Ezé 33,6) – D’accord, dans l’ancien régime, au temps des murailles et des chevaliers, mais suis-je la sentinelle de mon frère ?

C’est étonnant que cette idée nous choque car elle a pourtant été reprise même par l’existentialisme athée d’un Sartre. Il disait : non seulement l’homme est responsable de lui-même mais en plus il responsable de tous les hommes. En effet, chaque fois que je fais un choix, mon choix s’impose comme une norme pour ceux qui m’entourent, ou a minima il vient grossir une statistique. Dans les questions démographiques et sociales, quand je me marie plutôt que de rester en concubinage, je contribue à ce que les media disent : « le nombre des mariages augmente cette année », et donc des tas de jeunes gens se mettent à se dire que le mariage n’est peut-être pas cette institution réactionnaire qui était propre à l’Ancien Régime. Les choix que je fais, les prises de position qui sont les miennes me concernent au premier chef, mais en plus, sans même que je les fasse à cette intention, ils sont plus ou moins normatifs pour les autres.
Cette idée est reprise aussi dans la pensée alter-mondialiste contemporaine, où l’on se réapproprie un vieux proverbe indien qui dit que la terre ne nous appartient pas mais qu’elle nous a été prêtée pour un temps par nos enfants, avant qu’ils ne la reprennent. Cette formulation éclaire bien le fait que nous sommes revêtus d’une responsabilité allant bien au-delà du seul cadre défini par les lois. Nous avons une responsabilité éthique, non seulement par rapport à ceux qui vivent avec nous, mais aussi vis-à-vis de ceux qui vivent loin de nous, que ce soit dans l’espace ou même dans le temps, pour ceux qui auront à vivre sur une planète sans pétrole parce que nous aurons tout brûlé, par exemple, au hasard…

L’idée d’une responsabilité ne nous est donc pas complètement étrangère. Elle est en plus au centre de l’idéologie protestante qui a amplement déployé ce terme dans toute sa communication.
Et pourtant, l’idée de correction fraternelle nous choque, car aller voir son frère pour lui dire qu’il a péché nous paraît être une ingérence abusive dans la vie d’autrui. C’est tout simplement parce que l’individualisme le plus radical a infusé nos pensées et nos cœurs, parfois même le plus discrètement possible, de façon ténue, insidieuse, mais efficace.
« C’est mon affaire. C’est ma vie. C’est mon chemin. » C’est mon blog sur internet où je raconte à cinq milliards de lecteurs potentiels que je préfère les Pépitos au chocolat au lait plutôt que le pain d’épice. Passionnant. De nombreux penseurs s’inquiètent aujourd’hui d’une dissolution de la mémoire historique. En effet les histoires individuelles prennent tellement de place que l’Histoire collective des peuples et du monde en devient peut-être secondaire. La narration de soi est devenue plus importante que la narration des grandes épopées collectives qui ont construit notre monde, et qui, on le sait bien, construisent aussi nos identités personnelles. Moins on raconte notre histoire et moins je suis apte à raconter mon histoire. Il en résulte une égotisation (pardon pour le néologisme) de la pensée. « Moi, moi, moi ; moi d’abord. »

Pourtant, quand Jésus recommande aux disciples de pratiquer la correction fraternelle, il va dans un sens tout à fait inverse. Je ne suis pas tout seul, je ne me suis pas fait tout seul. Heureusement que mes parents n’ont « pas respecté ma liberté » — si j’ose dire — au jour où j’ai essayé de mettre les doigts dans la prise. Heureusement que mon chef louveteaux « n’a pas respecté ma liberté » de faire cuire tous les champignons ramassés systématiquement autour du lieu de camp. Heureusement que mon épouse « ne respecte pas ma liberté » en me rappelant que vivre dans un peu d’ordre ne gâche rien.
S’autoriser une remarque est devenu quelque chose qu’on réserve à la cellule familiale aujourd’hui, et encore, à la rigueur, pour les enfants jusqu’à 13 ans ? 11 ans ? D’accord, 9 ! Encore faut-il que la famille soit suffisamment unie pour qu’on puisse s’y hasarder à des remarques et ne pas se retrouver face à l’irrémédiable « Mêle-toi de ce qui te regarde ! ». Dans le cercle familial sont encore un peu autorisées quelques remarques de correction réciproque. Mais c’est limite.
Mais c’est justement de cela que Jésus parle. L’Église est une famille, ce n’est pas une métaphore, c’est une réalité.
Ce n’est pas qu’une image ! C’est une famille puisque c’est le rassemblement des personnes qui appellent la même personne « Père » et se proclament leur enfant. C’est une famille et c’est pour cela que Jésus dit : « si ton frère a péché ». Il ne nous dit pas d’être des Robin des bois, redresseurs de torts universels. Il propose un système de régulation propre à la famille chrétienne. Car pour vivre en bonne intelligence, pour pouvoir être vraiment frères et sœurs, il est indispensable de pouvoir se parler en vérité.
Et il n’y a que la vérité qui guérit. Et il n’y a que la vérité qui blesse.
L’exercice de la correction fraternelle, c’est aussi une chance donnée au pardon. Comment peut-on demander pardon d’une chose dont on n’a pas forcément l’idée qu’elle soit problématique ? Comment savoir qu’on est en train de s’égarer avec la joie au cœur et la fleur au fusil si personne ne nous le dit ?
Le processus de correction fraternelle que Jésus propose fonctionne en finesse, qui plus est, parce qu’il est progressif, parce qu’il donne à chacun la possibilité de s’amender dans la plus grande discrétion et pas dans le secret, mais dans une forme de pudeur. Ce n’est pas le système de lynchage médiatique où dès que quelqu’un fait une erreur on le lapide dans les 12 heures ; quelqu’un qui par exemple aurait un appartement un peu grand. Ce n’est pas le système de l’étalage de toutes les erreurs des autres. Il y a une progression : d’Homme à Homme au début, puis avec deux ou trois personnes qui viennent confirmer que la correction fraternelle proposée n’est pas seulement fondée sur l’interprétation d’un seul qui serait venu imposer son point de vue sur la situation. Puis, s’il n’y a pas eu de changement, la chose est dite au niveau de la communauté. Mais ce n’est qu’à l’issue de tout ce processus.
C’est un véritable système de régulation, très pragmatique, et qui ressemble à bien des procédures contemporaines de règlement de conflits, ou de traitement judiciaire. Sauf qu’il reste interne à la famille chrétienne. Dans un autre passage on insiste sur le fait qu’il ne faut pas régler les affaires entre personnes de la communauté immédiatement devant les tribunaux du monde, mais qu’il est toujours possible de les régler en famille avant.
Ce qui nous gêne peut-être aujourd’hui, c’est plus profondément le fait que nous avons l’impression que personne n’est habilité à dire qu’une chose ou une autre est péché. Le mot a vieilli et il n’est pas toujours bien compris. Pour le réexpliquer simplement, pécher, c’est, d’une façon ou d’une autre briser la communion que nous avons avec Dieu ou briser la communion que nous avons avec les frères. Mais aujourd’hui nous pensons que nous n’avons pas le droit d’aller voir quelqu’un pour lui dire qu’il fait quelque chose qui le met en décalage avec Dieu. « De quel droit ferions-nous ça ? » disons-nous.
Mais, quelle est la loi à laquelle vous vous référez pour dire « de quel droit » ? Quelle est cette instance qui régule vos pensées au point de vous faire dire que nous n’aurions pas le droit d’aller vers notre frère pour lui dire qu’il s’égare ? Si notre frère est en danger, s’il est comme la citadelle assiégée qu’évoque Ezéchiel, serons-nous une sentinelle qui rédige un rapport de cinquante pages sur la catastrophe telle qu’elle l’a observée, ou serons-nous une sentinelle qui sonne de la trompette pour mettre en garde des périls ? La grande souffrance des chrétiens de ce temps, c’est que la loi qui s’impose à leurs âme aujourd’hui n’est plus la loi de l’Evangile.
La bien-pensance tolérante est beaucoup plus puissante dans nos vies que l’Evangile de la correction fraternelle. « Pourquoi moi, paroissien, j’irai dire à tel autre que son choix de consulter des voyantes est un péril spirituel pour lui ? C’est sa liberté de faire ça, et en plus moi je n’y crois pas, donc ça ne doit pas être un péril ; si ça lui fait du bien… » Mais non ! Non ! Ce n’est pas ce que le Christ nous demande, car une telle tolérance n’est pas du tout respectueuse de la personne, elle n’est pas une soumission à la loi d’amour enseignée par Jésus. L’amour de Jésus corrige, il dit « moi non plus je ne te condamne pas, pourtant, va et ne pèche plus » (Jean 8). Alors que la loi de tolérance de la pensée unique c’est « que chacun fonce tête baissée dans le précipice qu’il aura choisi ». Oui, selon le monde, j’aime mon frère et je le respecte en le laissant choisir son péril, en le contemplant, libre, libre, infiniment libre d’être écrabouillé par la vie.
Ô qu’elle est sublime la liberté de voir son frère mourir dans le malheur et l’égarement. Qu’elle est admirable cette liberté de ma sœur qui endosse les chaînes d’esclavages que ses parents lui ont léguées en héritage. Qu’elle est grandiose et belle, la liberté de ces frères et sœurs qui se précipitent vers la morbidité de la vie, libres, libres, libres d’être les esclaves du Dieu Argent. Quel plaisir esthétique de voir tous ces frères et ces sœurs se perdent dans la nuit !
Non, non, et non !
Voir notre propre vie harmonieuse, c’est cela qui doit conduire nos choix dans l’existence.
Voir nos frères debouts, c’est cela qui doit nous faire agir
Que Dieu nous soit en aide.
Amen

Car c'est à toi qu'appartiennent… (Notre Père 9)

Prédication dans le cycle du Notre Père, donnée au Temple du Marais le dimanche 2 décembre 2007

Avant de faire les lectures, le pasteur donne une précision : la doxologie du Notre Père de Matthieu n’est pas présente dans tous les manuscrits.
Dans leur pratique de piété, les premiers chrétiens ont rapidement pris l’habitude d’utiliser chacune des six demandes pour chaque jour de la semaine, en réservant la doxologie pour les célébration dominicales.

Lectures bibliques :
1 Chroniques 29:10-20
Luc 22:24-32

Prédication
C’est au sommet de sa gloire, alors que son règne a atteint une puissance jamais égalée que David s’incline dans une prière d’humilité. C’est un moment fort de son existence, parce qu’il vient de rassembler tous les matériaux nécessaires pour construire le temple de Jérusalem. Et vu le projet, c’était déjà en soi quelque chose d’impressionnant que de trouver tout ce dont il avait besoin. Il se réjouit que l’impossible soit arrivé, que ce projet qu’il n’avait jusqu’alors qu’en image dans sa tête prenne corps. Et c’est le moment pour lui de se souvenir de l’essentiel : finalement, toute cette énergie mise dans ce projet, ce n’est rien.
Car tout appartient à Dieu. Et il ne faut pas que le projet prenne le dessus sur la vision première. Il ne faut pas que le temple, qui n’est qu’un moyen, prenne toute la place dans les esprits, car le temple est fait pour Dieu, et c’est Dieu qui doit avoir la première place, c’est Dieu qui doit occuper les esprits.
Il ne faut pas que les moyens passent au premier plan et que les objectifs soient relégués au second plan.
Alors cette prière, cette louange, c’est comme la dédicace spirituelle du temple de Jérusalem.
David rend grâce.
David rend gloire.
David rend la puissance et le règne à celui qui les détient au bout du compte.
Car le règne de David aura une fin tandis que le règne de Dieu n’a pas de fin. La puissance de David sera limitée, même si elle impressionnera ses contemporains, tandis que la puissance de Dieu n’a pour limite que sa volonté.
Et enfin la gloire de David, notamment au travers de ce temple qu’il fait édifier, sa gloire sera grande, mais limitée, puisque c’est Salomon qui en finira la construction, et que c’est Dieu qui reste glorieux, au plus haut des cieux.
Finalement, cette prière qui se concentre en des termes presque équivalents dans la finale du Notre Père, une prière d’achèvement. Elle vient comme l’action de grâce d’une personne âgée qui prend du recul sur sa vie. Tout ce qui a été traversé a été habité par la présence de Dieu. Ca en valait la peine, malgré les épreuves, et Dieu a été bon.
Mais plus encore qu’une prière de synthèse, c’est une prière de roi. Qu’est-ce que j’entends par là ? Ce sont les rois qui peuvent reconnaître que finalement le règne, la puissance et la gloire ne leur appartiennent pas, alors que depuis l’enfance pour la plupart on leur a fait croire que ce serait pour eux. Oui, la finale du Notre Père est une prière de roi, ou plutôt une prière de princes et de princesses, puisqu’elle s’adresse à ce Père que nous appelons aussi le Roi des rois.
Bizarrement, cette humilité qui consiste à rendre à Dieu le règne, la puissance et la gloire, nous installe dans la condition que Jésus avait rappelée aux disciples, c’est-à-dire dans une autorité spirituelle bien particulière. En tant que fils et filles du Roi des rois, nous sommes appelés à régner sur le monde. Pas comme les rois du monde règnent, mais comme le Roi des Juifs a régné, dans son vêtement d’humilité. Oui, bizarrement, au moment où nous disons que le règne, la puissance et la gloire ne nous appartiennent pas, Dieu nous les donne, il nous y associe. Car Dieu nous donne ce dont nous nous dessaisissons. Il dit bien qu’à ceux qui sont prêts à perdre leur vie pour marcher à la suite du Christ, à ceux qui sont prêts à se dessaisir de leur vie, il donne la vie, et en plus en abondance, une vie éternelle. A celui qui rend à Dieu une chose qu’il a pensé posséder jusqu’alors, Dieu promet des bénédictions plus grandes encore. Il n’y a pas là une espèce de théologie de prospérité, où il suffirait de faire un chèque de 100 euros à l’Église pour espérer en recevoir 10.000 de la part du Seigneur, mais simplement une loi spirituelle fondamentale du Royaume de Dieu : ce que l’on garde, on le perd, et ce que l’on partage, on le reçoit et ça se multiplie.
Jésus dit aux disciples qu’ils vont régner et même juger les tribus d’Israël, et tout de suite après, il dit à Pierre d’aller se convertir, car ce n’est qu’une fois qu’il sera converti il pourra s’occuper de ses frères. Toute cette discussion avait commencé sur la question de savoir qui était le plus grand des disciples. Alors Jésus leur explique par ces tournures que s’ils lâchent cette question, ils règneront. S’ils se dépréoccupent de savoir qui aura le pouvoir, Dieu leur donnera une autorité particulière.
Si Pierre lâche ses certitudes, il sera affermi. S’il lâche ses promesses à bon marché, il pourra tenir parole. S’il lâche la volonté de puissance, il deviendra un puissant serviteur, comme son maître, Jésus.
Oui, la prière du Notre Père, dans sa finale, est une prière de rois, de princes et de princesses, que nous sommes en Christ Jésus.
Pour le roi David, réaliser une maison pour Dieu (c’était le nom qu’avait le temple), réaliser cette maison pour Dieu était inimaginable. Alors, parce qu’il lâche la prétention à faire du beau, ce lieu sera une merveille du monde. Parce qu’il lâche la prétention à avoir fait la meilleure œuvre, il sera béni pour mille générations du fait de ce qu’il aura accompli. Et bien entendu, il ne lâche pas tout cela dans le but d’obtenir des bénédictions, mais il le lâche avec la certitude que vraiment, profondément, tout cela n’est pas de lui, qu’il n’est rien, et qu’il n’a pas fait grand chose par rapport à celui qui lui a donné la vie.
Ce que je possède, je l’abandonne.
Ce que j’abandonne, je le reçois.
Ce que je reçois, je ne prétends plus le posséder, mais j’en vis et je le partage.

Ce que je croyais posséder, je le donne, et ça se multiplie.
J’ai la foi. Je ne la possède pas. Je l’ai parce que je l’ai reçue.
Alors je la donne, je l’offre à d’autres et elle se multiplie.

Il n’y a rien de ce que j’ai qui ne m’ait été donné.
Il n’y a rien de ce que je suis que je n’aie reçu de Dieu.
Donc, logiquement, je m’offre au Seigneur dans l’adoration et je me donne aux autres dans le service.
C’est tellement simple qu’on se demande toujours comment on pourrait le rendre plus compliqué…

S’offrir au Seigneur ne passe pas par autre chose que par la confession joyeuse de son règne, de sa puissance et de sa gloire. C’est la façon dont nous dédicaçons l’espace de nos existences, à l’image de l’espace du temple de David. Et cela consiste à remettre les choses à leur place.
Le fait de se donner à Dieu dans la foi peut sembler être un effort, un effet de notre volonté au premier abord. Mais que donnons-nous à Dieu ?
Rien qui soit vraiment à nous puisque c’est lui qui nous a tout donné.
Ne désirons pas cupidement ce qui n’appartient qu’à Dieu, à savoir le règne, la puissance et la gloire. Mais découvrons la joie de savoir que tout nous est donné, car alors tout ce que nous croyions posséder jusqu’alors nous apparaît comme un cadeau et la vie prend véritablement un nouveau visage. Tout ce qui nous semblait dû, nous le découvrons comme un don et c’est alors que se dévoile la trace de Dieu au cœur de nos existences.
Que les temples que sont nos corps accueillent donc le don de l’Esprit Saint.
Que les temples de nos corps entrent dans leur fonction véritable, dans ce à quoi nous avons été appelés, dans notre divine vocation, et que résonne cette dédicace, cette proclamation : dans ce lieu, dans le lieu de ma vie, Seigneur, « C’est à Toi qu’appartiennent, le règne, la puissance et la gloire, pour les siècles des siècles ».
Amen

Délivre-nous du malin (Notre Père 8)

Prédication dans le cycle du Notre Père

Lectures bibliques :
Luc 4:1-37
Matthieu 6 : le Notre Père

Prédication
Jésus commence son ministère avec la joie et la force d’une tentation durant laquelle il n’a pas chuté. Il a été baptisé. Il a été éprouvé, il a passé l’épreuve, et le voilà maintenant revêtu de la puissance du Saint-Esprit.
C’est donc le début d’un ministère pastoral, et il est très intéressant de voir quelles sont les priorités que Jésus va mettre dans sa tâche dans ce commencement d’une nouvelle activité.
La première chose qu’il va faire, c’est de lire la bible. Pour nous rappeler que notre foi ne peut pas s’ancrer en autre chose que dans la révélation des Ecritures.
La deuxième action, c’est, bien entendu de prêcher sur le texte du jour — certains ont du mal à le faire. Et ce texte parle de guérisons, de résurrections, de libérations. Jésus actualise le texte biblique en disant qu’il ne s’agit pas seulement d’une vieille parole mais d’une parole puissante pour aujourd’hui.
Mais il ne se contente pas de prêcher, puisque dans la deuxième synagogue où il va, qui est la synagogue de Capernaüm, il passe à l’action. Il vient de dire que nous devions être libéré ? Eh bien dès son deuxième culte, le pasteur Jésus délivre un paroissien d’un esprit mauvais, d’un démon qui était en lui, alors que le brave bonhomme devait être un habitué du lieu, et qu’il chauffait les bancs tous les soirs de Shabbat depuis des années.
Dans le Notre Père, la demande « délivre-nous du mal » est la deuxième partie d’une phrase qui a commencé avec « et ne nous soumets pas à la tentation ». Nous entendions dimanche dernier que c’est bien Dieu qui laisse faire la tentation. On nous a rappelé que la tentation n’est pas un processus où Dieu autorise Satan à « s’amuser » avec les humains comme un enfant s’amuse avec un scarabée qui s’agite alors qu’il a été mis sur le dos. La tentation est l’occasion pour le chrétien de ridiculiser Satan qui a perdu la bataille face au Christ, résolument, et à qui nous pouvons rappeler qu’il a perdu quand il « tente sa chance » avec nous.
En sortant de sa tentation, il est dit que Jésus était revêtu de la puissance du Saint-Esprit. Il n’était pas seulement plongé dans l’Esprit comme durant son baptême mais il était bien revêtu de la puissance du Saint-Esprit. Il avait donc acquis, dans cette bataille que Dieu lui avait permis de traverser, une force toute particulière qui est une force d’en-haut, celle de l’Esprit Saint. Dès lors, ayant traversé, et les eaux du baptême et les marécages de la tentation, il pouvait faire ce que nous prions de dimanche en dimanche, délivrer les personnes du mal.

Mais attention, vous aurez bien compris dans ce texte de Luc 4 qu’il ne s’agit pas d’être délivrés simplement du mal philosophique, du mal éthique, du mal des moralistes. Fuir le mal et rechercher le bien, c’est une attitude que nous devons rechercher, mais c’est une posture morale, qui n’est pas réservée aux chrétiens. Il y a des athées très moraux et qui n’ont pas du tout besoin de Dieu pour être moraux.
Le texte du Notre Père est bien plus précis. Il ne dit pas seulement « délivre-nous du mal », mais il dit plutôt « délivre-nous du malin ». C’est tout à fait différent. Le mal, c’est une valeur, c’est une situation, c’est un aléa de la vie. Mais surtout le mal, c’est une idée, c’est quelque chose qui est là, qui est stable. En disant en revanche « délivre-nous du malin », nous n’avons pas affaire à quelque chose de passif, d’inhérent, mais bien à quelque chose d’actif, à une puissance. Nous avons à être délivrés de l’esprit du mal, qu’on appelle de mille noms dans les Ecritures bibliques, le Satan, l’accusateur, le tentateur, l’ennemi du Christ, le diable, le trompeur, le mauvais, le menteur… Et c’est pour cela que nous avons vraiment besoin de Dieu car sans lui nous ne pourrions rien faire. L’ennemi en question est bien trop fort pour que nous rivalisions, bien trop malin pour que nous ne soyons pas trompés.
On peut toujours se sortir d’une mauvaise situation si elle est fixe, mais il est plus difficile de se sortir de l’emprise d’un ennemi qui reste sur ses gardes, qui évolue, qui nous rattache quand nous nous détachons, qui veut nous lier dès que nous avons desserré l’étreinte de nos chaînes, de nos bandelettes de mort, etc.
En demandant à Dieu qu’il nous délivre du malin, nous ne lui demandons pas qu’il nous fasse dormir parmi les roses et les lys dans une sorte de Nirvana où nous ne connaîtrions plus les ennuis, la douleurs et les contraintes. Nous ne lui demandons pas non plus de devenir de gentils petits puritains dont la morale est bien calée, mais nous lui demandons qu’il manifeste sa puissance, qu’il vienne rappeler lui-même sa victoire à cet ennemi qui conteste sans cesse le fait qu’il ait perdu définitivement la bataille contre le Christ à Golgotha.
Dieu nous laisse aller en tentation avec le seul bagage de notre expérience, de notre intelligence et de notre foi, mais c’est lui qui opère les délivrances fondamentales. Nous ne sommes pas seuls dans cette bataille. Dans la synagogue de Capernaüm, Jésus est le premier à exercer l’autorité que Dieu va donner à tous les croyants par la suite, c’est-à-dire qu’il laisse agir en lui la puissance de l’Esprit Saint, présent en lui depuis son baptême d’eau et depuis ce baptême du feu qu’a constitué la tentation surmontée. Cette puissance de l’Esprit de Dieu qui lui a été offerte passe à l’action non pas pour seulement persuader les croyants de la beauté ou même de la pertinence des paroles des prophètes des temps anciens, mais bien pour que cette parole soit activée.
Nous pourrions illustrer cela par un exemple. Quand vous achetez une carte téléphonique, il faut toujours défaire un petit film plastique qui l’entoure, puis gratter une zone recouverte afin d’avoir les codes. Et dès le premier appel, au moment où vous tapez le fameux numéro qui était caché jusqu’alors, votre carte est activée.
Eh bien il en va de même pour nous. Nous sommes visités par l’Esprit Saint qui habite en nous, mais tant que nous n’avons pas activé sa puissance, tant que nous n’avons pas décidé que nous passions à l’action, que nous le laissions exercer son action, nous sommes riches de sa présence, mais pas beaucoup plus. Nous pouvons comprendre les Ecritures, mais pas vraiment les vivre. Nous sommes comme une personne qui garderait pendant des années une carte téléphonique mais qui n’appellerait jamais personne. A quoi servirait-il d’avoir cette carte sinon pour l’ultiliser ?
A Capernaüm, Jésus de Nazareth active cette puissance de l’Esprit Saint qui est en lui et sur lui, et la parole devient puissance. La parole de liberté devient geste de libération. La parole d’élargissement devient un acte de délivrance et voici qu’un bon paroissiens de la synagogue de Nazareth va, comme toutes les fois précédentes entendre la promesse comme quoi tous sont libres en Dieu, mais il ne va pas seulement l’entendre, il va le vivre et être libéré de l’esprit mauvais qui était en lui pour le tourmenter. Il va être délivré du malin simplement parce qu’un homme, Jésus, a eu le courage de laisser le Saint-Esprit de Dieu agir en lui.
Oui, que le Seigneur nous délivre du mal, dès que nous aurons compris notre infini besoin d’être délivré, et la capacité de notre Dieu à nous faire sortir de nos ornières. Puissions-nous laisser l’Esprit de Dieu agir en nous, selon sa promesse.
Amen

Pardonne-nous nos offenses (Notre Père 6)

Prédication donnée au temple du Marais à Paris le 4 novembre 2007

Lectures bibliques :
Psaume 130
Exode 22 :21-28
Matthieu 6 : le Notre Père

Prédication
Pour être franc, j’ignore d’où provient la traduction traditionnelle du Notre Père qui nous fait dire cette phrase « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Car dans les paroles de Jésus, aussi bizarre que cela puisse paraître, on ne parle pas que de pardonner et on ne parle pas vraiment d’offenses. Ce que dit le texte grec est beaucoup plus fin et beaucoup plus large à la fois. Jésus dit bien plus que « Pardonne-nous nos offenses », il dit en réalité « Eloigne de nous nos dettes » ou, pour le dire encore d’une autre façon « Repousse loin de nous ce que nous tout ce que devons ».
Demander à Dieu qu’il nous pardonne, cela passe donc par le fait de reconnaître que nous avons une dette envers lui. Et quelle dette ! Avez-vous réalisé l’ampleur de l’ardoise que vous avez laissée dans la comptabilité de l’entreprise Dieu, Père et Fils ? Impressionnant. Même la commission de surendettement ne peut plus rien faire. Car, en toute simplicité, vous lui devez… tout.
Qui a permis que vous soyez vivants ? Qui a permis que votre vie croisse ? Qui a pourvu à vos besoins matériels ? Qui s’est même préoccupé de votre sort après la mort ? Qui a remboursé à votre place des dettes que vous aviez endossées à la va-vite chez Satan et compagnie ?
Quand je dis que vous Lui devez tout, c’est vraiment un minimum. Car vous êtes même endettés sur des dépenses et des mises à disposition qui arriveront dans plusieurs années !
L’offense suprême à l’égard de Dieu, c’est de nier, en parole, en actes ou même en pensée, qu’on lui doit tout. S’il y a une offense que Dieu doit nous pardonner c’est cette ingratitude fondamentale qui consiste à ne pas reconnaître, à ne pas voir, à ne pas réaliser que tout nous vient de lui. Pour cela il faut effectivement demander pardon, pour l’ingratitude.
Mais Dieu ne nous demande pas de nous excuser ou de nous confondre en culpabilité pour le fait que nous lui devions tout. Ca il le sait. La seule chose qu’il demande, c’est qu’on le reconnaisse. La seule chose que Dieu demande en retour de sa grâce infinie, c’est que nous rendions… que pourrions-nous rendre, puisque tout est à lui ? Que pourrions-nous rembourser ? Rien ? La seule chose que nous pouvons faire en retour de sa grâce infinie, c’est de rendre grâce. Nous recevons tout comme une grâce et nous rendons grâce. L’attitude qui prévaut n’est donc pas la culpabilité, l’amertume, ou la honte, mais c’est la joie et la reconnaissance. L’inverse, en somme !

Est-ce que vous connaissez un autre créancier qui demande seulement de la joie en retour des sommes astronomiques qu’il met à notre disposition ? Vous imaginez votre banquier vous offrir 100.000 euros et vous dire que le plan de remboursement consistera à être toujours joyeux, à être dans la reconnaissance, à vous délecter simplement de cette bénédiction ? Incroyable !
Les créanciers du monde ne remettent pas les dettes. Même les parodies de remises de dettes entre nations se soldent toujours par des contrats d’exclusivités et autres mises en esclavages. « Vous ne nous devez plus rien, nous vous sommes reconnaissants de l’exclusivité que vous avez donnée aux entreprises de notre pays pour piller tous vos sous-sols. Votre dette est annulée, donc vos filles sont désormais libres d’aller occuper les trottoirs de nos villes, vos garçons sont désormais libres de venir travailler au noir et sans papiers et même souvent sans salaire sur les chantiers de nos monuments glorieux. Oui, dans notre mansuétude, notre nation a annulé votre dette et la seule mémoire de ce que vous nous devriez vraiment sera évoquée dans toutes nos conversations, plus lourde encore dans les âmes qu’elle ne l’était sur les comptes de nos banques. »

Quand, avec Jésus, nous demandons à l’Eternel qu’il éloigne de nous nos endettements, il s’agit simplement de reconnaître que Dieu seul peut nous libérer de ce que nous devons aux autres en général. Nous devons tellement à nos parents ; comment le leur rendre sans être infiniment endettés ? Nous devons tellement à la société qui nous a formés ; comment pourrions-nous rembourser ? Nous devons tellement à ceux qui nous ont aimés, qui ont pris soin de nous ; comment leur rendre tout cela ? C’est impossible. Et souvent c’est lourd, c’est pesant. Mais avec Dieu, c’est tout le contraire, c’est joyeux, c’est léger, c’est libérateur.
Dieu est un véritable rédempteur, entendez : quelqu’un qui rachète vraiment les dettes. Pas comme les Cetelem, Mediatis, Empruntis et autres charognards qui ne rachètent pas les dettes, contrairement à ce qu’ils annoncent, mais vous échangent juste vos dix petites chaînes en acier contre une grosse chaîne blindée en fonte. Merci pour votre aide.
Dieu est celui qui rachète vraiment. Il l’a montré en Jésus-Christ, qui a tout pris sur lui, qui a tout payé, non seulement pour les générations qui précédaient mais encore pour les générations qui suivraient. C’est justement sur la croix qu’il a prononcé cette ultime décision quant à nos créances, nos découverts et nos aggios : « Remets-leur leurs dettes, car ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Dieu est le seul qui ne substitue pas une grosse chaîne aux nombreuses petites que nous portions. Il ne substitue pas un esclavage lourd à la multiplicité de nos petites servitudes. Ses fardeaux sont légers. Dieu nous sort du marché aux esclaves. Il vient nous retirer des turbulences d’un marché où les vies s’échangent comme des marchandises, où la liberté n’existe plus car elle est toujours achetée. Le marché aux esclaves, on y est échangé, troqué, mais on n’y entre toujours pour en ressortir avec une chaîne différente. En Jésus-Christ Dieu nous sort de cette toile d’araignée spirituelle. Il nous fait sortir de la servitude non plus pour être des esclaves qui subissent la loi et les caprices d’un nouveau maître, mais il nous fait sortir de la servitude pour nous offrir la liberté du service. Le chrétien n’est l’esclave de personne, mais il est le serviteur volontaire de tous. Parce qu’il sait qu’il doit tout à son Dieu.
Il sait qu’il doit tout… et il sait qu’il ne doit rien ; qu’il n’a rien à rembourser.
C’est réglé.
Seigneur, éloigne de nous nos dettes car toi seul peut les éloigner effectivement de nous, pas pour les pousser juste un peu plus loin, pas pour faire comme si elles n’existaient plus, pas pour les renforcer par des manipulations secrètes, mais bien pour les briser pour toujours.
Amen

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