Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien (Notre Père – 5)

Prédication donnée au temple du Marais à Paris le 28 octobre 2007

Lectures bibliques :
Deutéronome 8
Matthieu 6:25-34
Luc 4:1-4

Prédication
Oui, c’est bien l’Esprit qui envoya Jésus au désert pour y être tenté. Car Dieu nous soumet parfois à la tentation pour vérifier et confirmer que toute chose est bien en place. Dieu nous donne ces temps d’épreuve pour confirmer que c’est bien sur lui que nous nous appuyons et pas sur un autre. Il cherche à s’assurer que nous n’avons pas encore dans la tête l’idée que nous pourrions nous en sortir tout seul.
Et la première tentation que connaît Jésus est liée au fait qu’il n’ait pas à manger. Sommes-nous de ceux qui sont prêts à avaler n’importe quoi ? Telle est la question que Dieu se pose. Allons-nous manger à tous les rateliers ? Ferons-nous notre pitance d’un pain d’amertume ?
La faim peut nous pousser à faire vraiment n’importe quoi. Même le fait d’aspirer à une vraie spiritualité, ce qu’on appelle la faim de Dieu, pousse des hordes de personnes à se prosterner devant des idoles simplement parce que le mot « dieu » est écrit dessus. La faim de liberté pousse des personnes abîmées par la vie vers des solutions-miracles qui ont ce pouvoir merveilleux de les enfoncer un peu plus dans leurs problèmes.
La faim nous pousse à faire n’importe quoi, et souvent, de préférence, le pire. Car ceux qui fournissent du pain avec des airs de gratuité sont parfois venus recruter pour des projets trompeurs.
Voici donc Jésus, fraîchement baptisé, tout beau tout propre, rempli de l’amour de Dieu, qui est conduit par l’Esprit qui vient de le bénir, de le nommer « fils bien-aimé », mais il est cette fois-ci conduit par ce même Esprit pour être passé au crible. Dieu vérifie que l’Homme nouveau sorti des eaux du baptême sera vraiment, comme on peut l’espérer, imperméable au péché. Waterproof en somme.
Le diable n’est pas complètement stupide et ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le Malin. Il pourrait faire entrer Jésus dans une tentation grotesque, façon séries américaines, avec plein de jolies filles, des chars à deux chevaux dernier cri, etc. Mais non, il brandit une tentation plus fine qui est celle du pain.
Il n’y a pas plus basique que le pain. Le diable ne tente pas Jésus avec des macarons à la pistache, mais seulement avec du pain. Il ne le tente pas en lui présentant directement du pain et en lui disant de résister sans en manger, car la tentation serait trop lisible. Il suggère que Jésus peut transformer les pierres qui sont là dans le désert en pain. Est-ce vrai que Jésus peut transformer les pierres en pains ? Mais oui, c’est parfaitement vrai, il le peut ! D’ailleurs il multipliera les pains un peu plus tard pour les foules rassemblées autour de lui et qui n’ont rien à manger.
Jésus dispose tout à fait de la puissance créatrice de Dieu et rien ne l’empêche de changer les pierres en pain. Rien, sinon deux convictions.
La première, c’est que l’homme ne vit pas de pain seulement. Et que donc, il n’est pas obligé de manger n’importe quel pain. La modération est possible. La consommation n’est pas un but en soi. Jésus peut résister car il sait que ce qui nourrit la profondeur de son être dans ce temps particulier qu’il lui est donné de vivre, c’est d’abord son lien avec le Seigneur son Dieu et son Père. Bizarrement, alors que le baptême est sensé représenter une naissance, Jésus est pendant ces quarante jours relié à celui qui l’a fait naître, par une sorte de cordon ombilical spirituel par lequel Dieu pourvoit à sa nourriture. Le temps du jeûne n’est pas un temps où l’on mange, c’est un temps où l’on digère. Car ce n’est pas ce qu’on mange qui nous nourrit, mais c’est bien ce que l’on digère. Jésus digère son baptême au désert. Il digère la bénédiction qu’il a reçue et qui est tout à fait suffisante pour le nourrir quarante jours. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sortira de la bouche de Dieu.
Voici la deuxième conviction de Jésus qui cite par cette parole la loi de Dieu en Deutéronome 8:3. Ce qui guide Jésus, ce ne sont pas les ordres que donne son ventre, mais c’est bien l’Eternel lui-même. C’est Dieu qui lui donne sa mission et non pas son estomac. Dès lors, il ne peut pas se nourrir de n’importe quoi. Et en particulier, il ne peut pas se nourrir en pillant la puissance de Dieu pour la détourner, pour en faire un usage inapproprié. C’est bien là la différence entre le Christ affamé et le diable nourricier, c’est que le premier n’utilisera pas la puissance de Dieu pour faire n’importe quoi, tandis que le second est prêt à tout falsifier et à détourner les projets du Tout-Puissant.
Les pierres resteront des pierres. La faim restera la faim.
C’est la Parole qui deviendra nourriture. La Toute-Puissance habitera quelques jours ce creux d’un ventre affamé qu’aucun pain ne peut sustenter.
Car Jésus ne mange pas de ce pain. Il sait parfaitement qu’il n’est pas autosuffisant, qu’il ne peut pas faire les choses par lui-même. Que le pain est quelque chose que l’on reçoit avec un remerciement. S’il change les pierres en pain, ce sera par la puissance de Satan, dans ce moment précis.
Oui Jésus ne mange pas de ce pain. Nous aurions vite fait d’accepter, pour notre part. Nous aurions trouvé mille bonnes raisons, mille justifications. Nous aurions vite construit de beaux montages religieux, acceptant de manger ce pain en faisant une petite prière avant pour lui faire perdre son amertume. Nous aurions même pu en manger en sachant bien qu’après coup nous pourrions toujours nous confondre en repentance et en larmes pour avoir transgressé la consigne…
Non, Jésus ne mange pas de ce pain-là.
Il attend un autre pain. L’homme ne vivra pas de pain seulement. Ne spiritualisons pas trop les choses. Cela veut dire quand même que l’homme vit de pain. Le pain (entendez l’alimentation) est une condition nécessaire à la vie, même si elle n’est pas suffisante. Pour autant, Jésus mangeait. Il mangeait même beaucoup car il est souvent à table dans les évangiles. Mais il voulait d’abord manger le pain qui lui serait donné par Dieu et non pas par d’autres que Dieu.
« Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Cela veut dire que chaque jour est l’occasion de réaliser une dépendance fondamentale. Il n’existe pas de pain qu’on ne reçoive. C’est pour cela que nous rendons grâces avant de manger. Nous croyons que nous avons « gagné » notre pain. Mais c’est une illusion pour nous persuader de notre prétendue utilité économique. Nous n’avons rien gagné, nous avons reçu. Nous avons tout reçu. Or comme il y a beaucoup de pain dans notre société, comme le pain est produit en trop grande quantité et qu’il est jeté chaque soir à la poubelle de nos supermarchés et de nos boulangeries, nous oublions que même les nourritures terrestres sont une providence miraculeuse. Aujourd’hui, notre pain de ce jour. Malgré la poudre aux yeux de l’économie de marché, n’oublions jamais qu’il s’agit d’une provision divine renouvelée par pure grâce au quotidien. Car, s’il n’y a rien que nous ayons que nous n’ayons reçu, surtout, il n’y a rien qu’il ne faille recevoir au moment où nous en avons besoin. Jésus aurait pu demander à Dieu : permets-nous de stocker chaque année pour la fête des Moissons suffisamment de grain pour pouvoir avoir du pain pour toute l’année. Mais non. La vie en Dieu n’est pas une dépendance générale, c’est une dépendance particulière, quotidienne, précise, et assumée comme telle. C’est une dépendance au jour le jour, sinon, dans le même ordre d’idées, il suffirait d’aller au culte à Noël et ça serait suffisant pour toute l’année. Personne n’aurait une idée aussi saugrenue que celle-là, vous en conviendrez ?
Dans le désert spirituel de la surconsommation, nous choisissons avec le Christ une posture nouvelle, celle de recevoir notre pain comme une grâce de Dieu et pas seulement comme une conséquence du prétendu triomphe de l’humain sur la matière. Nous ne voulons pas que nos greniers débordent car nous avons appris des hébreux au désert que ces nourritures accumulées deviennent trop vites périmées et même impropres à la consommation.
Mais surtout, nous proclamons sans les modifier les paroles du Christ lui-même. Nous ne disons pas « Donne-moi ce dont j’ai besoin », mais bien « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Car il ne suffit pas que je mange pour que je sois rassasié. Même avec le ventre plein, j’aurai toujours faim si une partie de l’humanité n’a pas à manger alors que je remplis mes poubelles de nourritures encore tout à fait consommables. Il y a dans ce « Donne-nous » une dépendance collective, car mon action de grâces sonne bizarre quand je mange trop, que je bénis Dieu, et que je lui demande de pourvoir aux besoins des enfants d’Ethiopie, avant de jeter ce soir le tiers, tout sec, de ma baguette de pain. Comment supporter qu’à la même date se réunisse à New-York un sommet sur l’obésité dans l’hémisphère nord et à Addis-Abéba un sommet sur la sous-nutrition dans l’hémisphère sud ?
On ne nous fera pas avaler n’importe quoi.
Nous voulons bien du pain de la dépendance, mais ce sera pour ne dépendre que de Dieu.
Nous voulons bien du pain de la modération, car ce sera pour partager avec ceux qui ont faim.
Nous voulons bien du pain de la justice, car sinon nous ne trouverons jamais le sommeil après avoir mangé.
Amen

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel (Notre Père 4)

Prédication sur ce thème, mais différente de celle donnée au temple du Marais à Paris le 21 octobre 2007

Lectures bibliques :
Psaume 40:1-12
Romains 12:2

Prédication
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Voici quelques petits mots vite dits, vite oubliés ! L’intention est louable de souhaiter que le bon vouloir de Dieu se réalise plutôt que les caprices des hommes. Mais c’est vite dit, car, après tout, que savons-nous de cette volonté de Dieu ? N’allons-nous pas un peu vite à l’appeler pour la terre et pour le ciel, alors que nous ne connaissons pas très clairement son contenu, sa teneur pour le monde et pour nous ? Comme Paul sur le chemin de Damas, nous sommes amenés à poser la question : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »
Les uns et les autres, nous avons été mis au courant du projet global de Dieu pour le monde : un monde construit, aimé, pardonné à tout prix, même s’il a fallu au Seigneur donner beaucoup de lui-même, quoi qu’il lui en coûte. Projet d’amour, projet de paix, projet de bonheur et non de malheur. Et nous entendons en arrière-fond tous ces textes tirés de la Bible auxquels nos oreilles sont habituées, et qui nous disent ce projet général de salut et de joie. C’est là un des piliers les plus fondamentaux de notre spiritualité que d’être portés par une parole solide, un énoncé vraiment riche de ce désir de Dieu par rapport à l’humanité.

La difficulté et la confusion sont pourtant possibles : souvent nous nous surprenons à comprendre la volonté de Dieu comme une sagesse et un programme d’action simple et lisible. « Tu veux savoir ce que le Seigneur veut ? Ouvre le Livre et lis ». C’est vrai, en un sens, mais cela peut être parfois catastrophique. Car si nous pouvons saisir le cœur même de la bonne nouvelle dans la lecture du premier testament, des évangiles et de tous les autres récits bibliques, il ne nous est pas possible immédiatement d’y trouver l’expression du désir de Dieu pour nous-mêmes, précisément, dans la situation où nous nous trouvons, avec les questions que nous nous posons. En somme, en cherchant la volonté de Dieu, nous pouvons tomber dans une tentation très forte, la tentation « religieuse », qui consiste à penser que l’on peut se situer dans le désir de Dieu par la seule écoute et par l’application concrète dans nos vies de préceptes bibliques. Tentation d’autant plus dangereuse qu’elle a l’air pieuse et de bon aloi, qu’elle a le goût d’une fidélité que nous sommes en droit de souhaiter. Et d’aucuns ouvrent leur bible au hasard pour chercher du sens et pour savoir que faire dans les situations de conflits : ils lisent alors « heureux qui saisit tes nouveaux-nés, et les écrase sur le rocher » Psaume 137:9. Voyez le résultat.

« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; oui, Seigneur, je le veux, mais concrètement, sur ce petit bout de terre que constitue le temple de mon corps, comment faire pour que ce soit ta volonté qui soit faite ? Ta volonté pour l’humanité, j’en ai l’intuition, et encore… mais ta volonté pour moi ? J’ai bien entendu l’appel à la liberté, j’ai même au plus profond de mon cœur une loi d’amour que je reconnais comme la loi véritable : aimer Dieu, le prochain, les ennemis, même. Je sais que, si Dieu veut ça pour l’humanité, il le veut pour moi. J’essaye de tisser, avec mes frères et mes sœurs, une fidélité personnelle et collective qui fasse écho à la bonne nouvelle prêchée, entendue, écoutée. Mais ma difficulté à vivre vraiment sur cette voie qui s’offre à moi me fait souvent préférer le confort égoïste qui consiste à se plonger corps et âme dans la contemplation d’une parole devenue sagesse, qui s’est figée dans une éthique, dans une théologie, dans une religion. »

On peut bien passer une vie à scruter les Ecritures, à y lire le désir de Dieu pour l’humanité entière, celle d’hier, d’aujourd’hui et de demain, sans se demander une seule fois quel est ce désir de Dieu pour moi, et pour moi en tant que personne, pas seulement en tant que digne représentant de l’espèce humaine, en tant que membre du petit peuple des suiveurs de Dieu.
« Seigneur, je veux bien faire ce que tu veux, mais que veux-tu, au fait ? Qu’attends-tu de moi ? Quelle est ta volonté pour moi ? Et quelle est ta volonté pour cet échantillon d’humanité qu’est mon Eglise, le groupe auquel j’appartiens, qui ne peut résumer à lui seul l’humanité entière ? Quels sont ces vœux que tu fais précisément pour moi et pour les miens ?
Levons le doute très rapidement : ne vous attendez pas à ce que je vous dise ici et maintenant quel est le désir de Dieu pour vous personnellement, pour vous en tant que communauté et pour vous en tant que personne. Je ne vais pas vous livrer maintenant cette facette personnalisée du désir de Dieu qui fait de chacun d’entre vous ce matin une personne unique devant Dieu, aimée pour elle-même, pour ce qu’elle est, par le Christ Jésus.
J’aimerais seulement que les uns et les autres puissions nous poser en vérité la question de la volonté de Dieu pour nous, et que nous posions maintenant et à l’avenir cette question au Seigneur lui-même, afin qu’il nous donne à connaître ses projets.
Nous ne pouvons plus nous satisfaire d’une volonté de Dieu qui serait tellement universelle quelle n’aurait rien de personnel et qui nous ferait perdre notre côté « unique devant Dieu ». A l’écoute des Ecritures, dans la prière ou au fil des conseils de mes frères et de mes sœurs, Dieu me fait connaître ce qu’il veut, ce qu’il veut pour tous les hommes, l’essentiel, mais dont je n’arrive pas à me satisfaire ; il me fait surtout connaître ce qu’il veut pour moi.

Dans les temps qui viennent, le Seigneur va faire sortir le petit peuple réformé français de la tentation religieuse et intellectualiste dans laquelle il s’est laissé piéger. A nous qui nous sommes figés dans des traditions aussi rigides que celles que nous contestions chez les autres, chez les catholiques, à la création de notre Eglise, à nous va s’offrir une nouvelle naissance quand nous serons expulsés de la matrice des habitudes, des liturgies éteintes et des réflexes identitaires.
Car nous nous sommes laissés tenter par une foi devenue sagesse plutôt que source bouillonnante ; nous avons sacrifié aux idoles de l’humanisme en délaissant la folie de l’incarnation, et nous avons réduit la volonté de Dieu à une anthologie, un « best-of des aphorismes du petit Jésus », plutôt que d’appeler sur nous le feu de la Pentecôte et la vitalité de l’Esprit-Saint.
Nous attendons Noël, nous attendons Pâques, mais nous n’attendons plus le retour du Seigneur. C’est bien ça, nous nous sommes endormis dans le religieux, dans le liturgique, bercés par de belles théologies. Nous avons perdu l’habitude d’attendre Dieu lui-même plutôt que les célébrations de son Eglise, d’écouter sa Parole vivante plutôt que les élucubrations de ses penseurs, de chercher sa face plutôt que de nous satisfaire des clichés d’une spiritualité très sympathique mais trop sage.
Dans les temps qui viennent, le Seigneur va faire sortir le petit peuple réformé du lit douillet dans lequel il s’est endormi. Il va nous donner à entendre et à voir la proximité de son Royaume. Il va faire lever des prophètes et rêver les vieillards, comme aux temps de l’Exil. Il va nous montrer de bien des façons combien sa présence n’est pas une affaire de sagesse mais en fait une question de confiance et de puissance. Dieu va surgir dans notre aujourd’hui pour que nous cessions de croire que nous sommes suspendus entre un passé héroïque bimillénaire et l’avenir d’un Royaume qui semble souvent si lointain.

Depuis quelques temps déjà l’Esprit du Christ surgit de façon étonnante et souvent détonnante dans la vie de nombreuses personnes, dans les Eglises et hors des Eglises. Le Seigneur aime et désire le retour de ses bien-aimés, il se donne à connaître aux uns et aux autres. Il nous rappelle qu’il nous attend, là, juste là, devant, sur le chemin, proche.
Et il nous dit ce qu’il attend de nous.
Alors vraiment, si vous avez le sentiment que jamais le Seigneur ne vous a fait connaître sa volonté pour vous, que jamais il ne s’est fait plus précis, qu’il ne vous a pas offert autre chose que de suivre le programme général et merveilleux des évangiles, si c’est là votre sentiment aujourd’hui, demandez-lui, osez lui demander la grâce d’une révélation de son désir pour vous. Sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Que le petit lopin de terre de votre existence ne soit pas épargné par le souffle puissant de celui qui a ramené Jésus vers la vie. Que vos hésitations, vos questions et vos culpabilités ne fassent plus écran devant Celui qui désire votre bonheur plus encore que vous ne pouvez le désirer pour vous-mêmes.
Le Royaume s’est approché de vous ; le Seigneur vient.
Que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Amen

Que ton Règne vienne (Notre Père – 3)

Prédication donnée au temple du Marais à Paris le 14 octobre 2007

Lectures bibliques :
1 Samuel 8
Matthieu 3:2
Luc 17:20-21

Prédication
Quand la SNCF a lancé la dernière version du TGV, qui roule allègrement à plus de 350 kilomètres par heure, elle a fait l’erreur dans les trois premiers jours de faire fonctionner le TGV sans chauffeur. L’erreur n’est pas là où l’on croit. Il n’y a pas besoin de chauffeur dans un TGV. D’une part parce qu’il n’y a pas de volant dans un train comme celui-là, et d’autre part, parce que tout est automatisé, et que, globalement, ça freine mieux qu’un Vélib.
Non, l’erreur, c’était seulement psychologique, parce que les gens étaient malades à la seule idée qu’ils roulaient à 350 à l’heure sans qu’il ait aucun humain à l’avant du train. C’est toujours rassurant de se dire qu’on ne sera pas le premier à être écrasé en cas d’accident.
Résultat, il a fallu mettre quelqu’un pour rassurer les gens. Cette personne ne sert à rien. Elle doit seulement appuyer sur un bouton toutes les trois minutes, pour faire savoir qu’elle ne dort pas. Ça n’aurait aucune incidence si elle dormait puisque le TGV peut marcher tout seul, mais ça rassure les voyageurs… et ça coûte moins cher qu’une cellule psychologique dans chaque gare.
Voilà assurément un métier d’avenir, « titilleur de bouton », pour la tranquillité des clients.

Y a-t-il vraiment quelqu’un pour piloter ?
En voilà une question fondamentale. Y a-t-il quelqu’un pour piloter le pays ? Il semble, et en tout cas on veut nous rassurer sur ce sujet, car il n’y a pas une minute où le président ne soit en train d’appuyer sur un bouton, pour que nous puissions voyager tranquilles pendant cinq ans.
Plus sérieusement, qui est au contrôle dans le véhicule Terre ? Toute une partie de l’humanité veut vivre sans Dieu et donc, elle s’agite pour croire qu’elle contrôle tout. A un moment ou à un autre, elle voit bien qu’en fait elle ne contrôle pas grand chose. A défaut de pouvoir être président des Etats-Unis et d’avoir le pouvoir de conduire la planète entière dans le mur, on peut toujours faire des films et se recycler en prix Nobel de la paix pour dire aux gens qu’ils vont dans le mur, grâce au collègue à qui on n’a pas su piquer sa place.
Les personnes qui accèdent à des responsabilités essayent de faire au mieux pour gérer, pour impulser des politiques, pour faire avancer les choses, mais il y a un jour ou l’autre un temps fatidique où elles se retrouvent dans la situation de ce brave cheminot à qui on avait promis la gloire d’être conducteur de TGV et qui se retrouve « titilleur de boutons », pour la tranquillité des clients et la pérennité du service public. Quelle déception, au bout de trois ans à conduire un TGV, de s’apercevoir que ça marche très bien sans nous…

Y’a-t-il quelqu’un pour piloter véritablement le vaisseau Terre ?
La réponse de la bible est paradoxale :
– d’une part c’est le diable, l’ennemi du Christ, qui est le prince de ce monde, et il règne à bien des égards parce que l’humanité refuse que ce soit le Seigneur qui règne vraiment.
– d’autre part c’est bien Dieu qui règne, mais il ne veut pas régner comme le fait son ennemi, il ne s’impose pas et attend que les humains reconnaissent et lui donnent la possibilité de régner.
En d’autres termes, cela veut dire qu’ultimement, c’est Dieu qui règne sur le monde, mais que nous sommes souvent en train de croire que c’est nous qui régnons, que c’est nous qui pilotons. En réalité, dès que nous volons les prérogatives de Dieu, nous recevons alors d’étranges cadeaux de la part de l’autre.
La façon dont Dieu règne est tout à fait différente de celle de son ennemi. L’ennemi du Christ règne comme les rois de la terre. A moins que ce soit l’inverse, que les rois de la terre copient le type de domination du diable. Ils dominent par l’oppression, par un contrôle toujours plus fort, par la mise en place de structures d’esclavage où chacun contrôle tout le monde, où l’on se retrouve liés par le regard de l’autre. A plus ou moins long terme on appelle ça une structure totalitaire.
Dieu, lui, pourrait très bien mettre en place un système comme celui-ci, mais en vérité, il souhaite une collaboration avec l’être humain. Il ne veut pas tout faire, il délègue, il laisse libre, il veut que son personnel apprenne, que ceux qui sont sous son autorité grandissent eux-mêmes en autorité, non pas pour dominer et écraser, mais pour servir et pour relever.
Ce Règne-là, Jésus nous dit qu’il s’est approché de nous.
Nous en vivons quelque chose au niveau de l’Église, quand celui qui est juge dans la société civile se retrouve ici sur le même banc que le taulard, qu’il prie pour lui et qu’il l’aide en fin de mois. Tout ça n’est pas logique. Les bons doivent être d’un côté et les méchants de l’autre. Mais Dieu brise toutes ces lois d’opposition qui ne sont pas les lois qui régissent son Royaume.
Il y a une échappatoire à la domination, pour ceux qui vivent aussi la dimension du Royaume, tout ceux qui ont laissé le règne de Dieu s’approcher d’eux. Car nous ne sommes, grâce au Christ, plus seulement soumis aux lois du monde, nous vivons une autre dimension d’existence. Nous faisons notre part, nous prenons des responsabilités dans la société, nous nous battons, nous nous engageons, mais nous savons qu’au-dessus, Dieu règne.
Et cette certitude est extrêmement libératrice car elle nous dispense de croire que c’est à nous de régner. Nous avons à administrer, mais pas à dominer. Nous exerçons une autorité spirituelle, mais nous n’avons aucun pouvoir. Nous avons une autorité parce que Jésus nous l’a donnée. Nous avons l’autorité pour marcher sur les scorpions, relever ceux qui vont vers la mort, guérir les malades et chasser les puissances spirituelles. Nous n’avons aucun pouvoir par nous-mêmes mais nous exerçons cette autorité à cause de ce qu’a dit et vécu Jésus-Christ, notre grand frère dans la foi.
Ainsi, alors que ce Royaume de Dieu paraît à la plupart de ceux qui nous entourent comme quelque chose de très lointain, nous, nous savons qu’il est proche et nous avons la responsabilité de le manifester.
Il nous est difficile d’expliquer dans l’absolu ce que veut dire cette dimension du Règne de Dieu, dont Jésus n’a parlé que par images.
Nous ne pouvons pas expliquer vraiment ce qu’est la résurrection, par exemple, mais nous pouvons parler de Laurent qui retrouve du travail après sept ans de chômage, de Lucile qui a été guérie par la prière d’une malformation cérébrale, de Caroline qui a arrêté de se droguer par la seule intervention de Dieu.
Nous ne pouvons pas expliquer vraiment ce que c’est d’être sauvé, mais nous pouvons témoigner qu’Aline est déjà morte deux fois cliniquement mais qu’elle est présente à nos côtés, qu’Antoine en a fini avec les obsessions de l’homosexualité, que Christian a accédé à des responsabilités parfaitement improbables et inattendues, par miracle.
Le Règne de Dieu s’approche, il ne vient pas d’une façon qu’on puisse le voir directement, mais l’on voit bien les conséquences : des personnes qui sont relevées, dont la vie est changée, transformée en profondeur. Ce n’est pas une image, c’est une réalité que le Seigneur illustre puissamment au sein de son Église. On n’y voit pas le vent, mais l’on voit les feuilles qui s’envolent.
Maintenant, il faut être bien conscient que ce qui est reçu de Dieu n’est reçu que dans la mesure où nous le laissons vraiment régner. Car il ne suffit pas de le proclamer, il faut le vivre, et il faut accepter toutes les révisions de vie que nécessite cette advenue de Dieu dans nos vies. Le Seigneur ne règne que là où on le laisse régner. Il ne règne que là où on lui demande de régner. Mais quand on le laisse faire, quand on lui demande d’intervenir, il ne déçoit pas.
Ne renvoyons pas aux calendes grecques ou à la fin du monde ce règne de Dieu dont Jésus nous a dit qu’il s’était approché de nous. N’éloignons pas Dieu de nos contemporains par nos discours, mais aidons-les à comprendre combien il est proche, comment il est proche.
Seigneur, que ton règne vienne ! Dans ma vie. Dans l’Église, dans notre pays. Que ton règne vienne ! Que tu puisses trouver un peuple prêt à être associé à ton règne, non pas pour prendre le pouvoir, mais pour étendre ta bénédiction sur le monde !
[Prière]
Amen

Que ton Nom soit sanctifié (Notre Père – 2)

Prédication donnée au temple du Marais à Paris le 7 octobre 2007

Lectures bibliques :
Esaïe 42:8
Jean 17:24-26

Prédication
Jésus est un très bon pédagogue, il sait que, si nous sommes livrés à nous-mêmes, notre prière va foncer tête baissée vers des demandes qui nous concernent, des demandes matérielles ou encore ce genre de petites prières que l’on fait pour que nos désirs soient assouvis, que notre volonté soit faite, que nos petites préoccupations de tous les jours soient globalement arrangées par le Seigneur. Nous avons bel et bien tôt fait de nous replacer au centre, même quand nous prions et que nous avons l’impression que c’est Dieu que nous plaçons au centre de notre pensée, pour un petit moment. Nous sommes égoïstes, jusque dans notre prière et voulons toujours tout ramener à nous-mêmes. « Pourvu que Dieu nous aide, pourvu qu’il jette son regard sur nous, etc. » Nous ne regardons pas beaucoup plus loin ni plus haut.
Alors, Jésus, voyant cela, souhaite nous prémunir de ce penchant naturel en laissant les demandes plus palpables pour la fin de cette prière.
Il ne fait que reprendre la pédagogie qui était la sienne dans le commandement nouveau que nous répétons de dimanche en dimanche : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu — avant toutes choses, je rajouterais — et ton prochain comme toi-même — en conséquence du premier commandement ». Messire Dieu premier servi, puis ensuite l’être humain.
Et il reprenait déjà la pédagogie divine au moment des dix commandements, puisque vous vous souvenez que les trois premiers commandements concernaient le Seigneur et le respect qui lui est dû, et que les sept suivants concernaient notre façon de vivre devant Dieu.
« Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné en plus ».

Le fait que le Nom de Dieu soit sanctifié est bien souvent le cadet de nos soucis, pour deux raisons.
La première raison est très très simple : « Que ton Nom soit sanctifié » est vraiment une expression incompréhensible. Ça sonne bien religieux et ça ne semble avoir aucun rapport avec la vie réelle, celle qu’on essaye de vivre toute la semaine.
Déjà le mot sanctifié est quelque peu énigmatique. Cela veut dire « devenir saint et sacré ». Mais la sainteté et la sacralité, nous ne savons pas véritablement de quoi il s’agit. Etant les enfants d’un monde qui a voulu tout désacraliser et nier toute sainteté, jusqu’à celle de Dieu lui-même, ces idées nous sont aussi étranges et étrangères que le fait d’aller à la rivière avec une outre pour chercher de l’eau : c’était bon dans le passé, ça fait partie du folklore d’autrefois.
La sanctification veut dire qu’on met quelque chose à part. Dieu est saint car il est à part. C’est ce que nous expliquions dimanche dernier autour de l’expression « dans les cieux ». Dieu est radicalement différent de nous, il est à part. De la même façon que Dieu est à part, nous sommes appelés à nous mettre d’une certaine façon à part du monde et de ses lois pour suivre vraiment Dieu et non pas seulement l’Esprit du Monde.
Le fait que Dieu puisse être loué, reconnu comme Seigneur du monde, le fait qu’il puisse être mis à part, reconnu comme saint, nous pouvons encore à la rigueur le comprendre. C’est une question de prérogatives. Il est le premier, qu’il soit reconnu comme premier et servi comme premier.
Mais le fait que nous devions sanctifier son Nom, ça, c’est incompréhensible. Cela fait référence à l’épisode du Sinaï où Moïse demande comment on doit appeler Dieu. Et il le demande au Seigneur lui-même car il comprend qu’il ne faut pas se contenter de l’appeler par des noms que les humains ont forgés. Appeler le Créateur et le Sauveur par le nom « Dieu », c’est assez insultant pour lui, car c’est le comparer à ces multitudes de petits dieux des paganismes, de toutes les religions moyen-orientales. Le nom que Dieu révèlera à Moïse s’écrit avec un Y, un H, un W, et un H. Nos grands frères juifs interdisent qu’on prononce ce nom, qui est d’ailleurs imprononçable dans leur langue. Il est traduit parfois dans certaines de nos bibles, mais c’est peu respectueux que de faire cela puisque ce nom a été donné comme un nom à part, un nom impossible à prononcer pour que l’humain n’ait justement pas la prétention de posséder Dieu en possédant la connaissance de son Nom. Les juifs, quand ils voient ces quatre lettres disent Adonaï, « mon Seigneur ». Et ce nom signifie « Je suis » ou « Je serai ».
Posséder le nom de quelqu’un c’est prendre pouvoir sur lui. « Monsieur … ! » [en appelant quelqu’un dans l’assemblée]. Je prends pouvoir… Je mobilise toute son attention. Il est captivé par mon appel.
Que le Nom de Dieu soit sanctifié, c’est donc se rappeler que Dieu n’est pas comme les autres Dieu, qu’il a souhaité que nous l’appelions, mais nous a donné un Nom très particulier pour le nommer. C’est surtout se rappeler que c’est lui qui doit avoir autorité sur nous et non pas nous qui prétendions avoir autorité sur lui, ou pouvoir le contraindre dans ses interventions, etc.
Nous ne prenons pas assez de temps ni dans nos cultes ni dans notre prière personnelle, pour louer Dieu, pour reconnaître sa place particulière et première. Nous ne prenons pas assez le temps de sanctifier le Seigneur et d’adorer son Nom, son identité, alors que c’est le but premier du culte que nous sommes sensés lui rendre.

La deuxième raison qui fait que nous ne sommes pas très préoccupés que le Nom de Dieu soit sanctifié est que nous sommes vraiment ambigus dans notre allégeance au Seigneur. Nous avons bien d’autres dieux que lui en réalité. Est-ce que dans votre existence, de votre réveil à votre coucher, dans le fil de votre journée, c’est bien Dieu qui est loué, remercié et adoré ? Voyez le temps que vous consacrez chaque jour à servir Mammon, le Dieu du capitalisme libéral. Combien de minutes et d’heures de nos semaines sont consacrées à se laisser conduire par la petite liturgie de Mammon, le Dieu-Argent : passer à la banque, retirer de l’argent, faire des courses, regarder l’état de ses comptes, lire dans les journaux les perspectives économiques, et leurs influences sur le montant de votre salaire ou de votre pension, descendre manifester pour les « avantages acquis », etc. etc. C’est toute une liturgie très dense et très diversifiée, comme le chapelet des musulmans et des catholiques, qui s’égraine au fil de des jours, nous faisant prisonniers d’une religion qui n’est pas celle que nous croyons suivre (car le capitalisme libéral est bien une religion, ne vous y trompez pas !). Vous pensez être chrétiens ? Dans quelle mesure alors passez-vous plus de temps à louer le Père de Jésus-Christ que le Dieu du Fric, qui est puissant et sournois au point de nous faire croire qu’il n’est pas un dieu ? A qui va votre adoration ? Qui est au bénéfice de votre confiance et de votre espérance, est-ce vraiment le Christ, ou l’anti-christ ? En somme, est-ce vraiment le Nom du Père de Jésus qui est sanctifié dans vos vies ou n’a-t-il pas un concurrent qui aurait subtilisé la première place dans votre piété personnelle ?
La question vaut la peine d’être posée. Car notre allégeance au Seigneur ne souffre pas de ces ambiguïtés. Je ne dis pas qu’il faut abandonner tout compte en banque, mais ce à quoi je vous incite aujourd’hui, c’est de voir que face au triomphe de l’argent, nous devons retrouver l’attitude qui était celle des premiers chrétiens face à César. Accepter quelques compromis pour la vie courante car on ne peut pas faire autrement et qu’il faudrait alors complètement se retirer du monde, mais en même temps être extrêmement vigilants à ne pas nous laisser piéger par les célébrations du faux-Dieu, ne pas prêter serment devant lui.
Je vais être extrêmement concret. Un des principaux outils de domination de Mammon sur l’être humain contemporain est l’usage du crédit financier. Si nous prenons des crédits, et surtout si nous nous laissons prendre par la bête vorace de l’endettement par l’outil très spécifique du crédit à la consommation, alors nous nous rendons, bon gré, mal gré, esclaves de Mammon, qui a pouvoir sur nous. Toute notre journée nous serons préoccupés du remboursement, alors que dans la plupart des cas, nous aurions pu simplement différer un achat qui n’était pas vital. Mais, une fois endetté, Mammon nous tient !
Il en va de même avec ce qu’on nous présente comme un jeu, à savoir la spéculation boursière. Ce n’est pas un jeu, ou alors ça l’est dans le mauvais sens du terme, comme le tiercé ou la roulette, qui vous rendent esclaves là encore en vous tenant par la cupidité. Le système boursier international est le Grand Temple de Mammon. C’est là que ce Dieu injuste prend ses décisions sur le sort des humains. C’est à partir de là qu’on affame l’Afrique et qu’on aliène l’Asie ou l’Amérique du Sud. Soyez conscients de ça. Et regarder les hauts et les bas de vos trois actions France Telecom, c’est mettre un écran entre votre intelligence et la réalité d’un système d’oppression de l’humain qui n’a jamais connu pareille puissance et pareille subtilité. Alors soyons vigilants… est-ce que dans nos vies c’est bien « Notre Père qui es aux cieux » dont le Nom est sanctifié ? J’ai pris l’exemple du culte capitaliste, mais j’aurais pu en prendre d’autres, les superstitions ou croyances aux horoscopes, les voyantes, tous types de sorcellerie occidentale, les drogues.
Nous nous disons chrétiens, alors prouvons-le ! Soyons-le vraiment ; joignons le geste à la parole. Quittons le terrain de toutes ces ambiguïtés que nous entretenons et pour lesquelles nous sommes souvent très indulgents. Le Seigneur n’attend pas que nous soyons tranquilles dans notre petit pavillon ou sur les bancs du temple, il attend que la création entière le reconnaisse comme Seigneur, qu’elle cesse d’errer de faux-dieux en idéologies, et d’idéologies en superstitions.
[Nous prions]
Seigneur, que ton Nom soit sanctifié par toute la terre.
Amen

Notre Père qui es aux cieux (Notre Père – 1)

Prédication donnée au Temple du Marais le 30 octobre 2007

Lectures bibliques :
Matthieu 6 :1-13, Deutéronome 30:11-14 et Romains 8:15

Prédication

Lors de sa conférence du 12 avril 1961, Iouri Gagarine, cosmonaute russe, qui venait de vivre le premier vol habité dans l’espace, déclarait : « Dieu n’existe pas, je ne l’ai pas rencontré ».
Il y avait un enjeu politique pour l’Union Soviétique à montrer par cette parole le triomphe apparent de la technologie du bloc de l’Est, à laquelle on associait le triomphe de l’athéisme soviétique. Effectivement, Gagarine est monté au ciel et il n’y a pas trouvé Dieu… Bien que des générations et des générations de russes orthodoxes aient confessé que leur Père spirituel était aux cieux, le communisme à son essor voulait proclamer que le seul Père (des peuples) était bien sur terre et qu’il séjournait au Kremlin.
Mais ce serait aller un peu vite en besogne que de plaisanter sur le dos du jeune cosmonaute russe. Car sa conviction candide, forte et sincère, est finalement la même (mais en négatif) que celle de tous ces chrétiens qui pensent qu’effectivement le Seigneur se trouve véritablement dans le ciel « puisque le Notre Père nous le dit ». Matthieu l’évangéliste utilise même à treize reprises cette expression de « père qui est dans les cieux » ou « père céleste ». Cette formulation « dans les cieux » était culturellement ancrée dans la Palestine du temps de Jésus. C’était une façon de dire, en images, que le Seigneur des Juifs n’était pas un de ces dieux dont on peut contempler la statue dans les temples païens ou sur les trônes des capitales impériales. Dire que le Seigneur est dans les cieux, c’est dire en même temps que nous, nous devons avoir les pieds sur terre. C’est dire qu’il est radicalement différent de nous, et même radicalement différent de ce que nous pouvons imaginer, de toutes ces divinités que les gens construisent, poussés par leurs aspirations religieuses.
Penser que Dieu habite vraiment le ciel parce qu’on le prie « Notre Père qui es aux cieux », c’est comme affirmer que le fait de voir la vie en rose modifierait la couleur de ce qui nous entoure. C’est confondre une image poétique avec la réalité.
Car Dieu échappe à l’espace, il n’est pas limité par les distances et par les étendues, de la même façon qu’il ne se laisse pas enfermer dans l’échelle du temps puisqu’il vit l’éternité.
Gagarine n’a pas trouvé Dieu dans les cieux, c’est plutôt rassurant.
Le contraire eût été inquiétant.

Mais autant cette question du lieu de résidence de Dieu nous inquiète peu, autant celle de la paternité du Seigneur soulève plus de questions de nos jours.
La revendication féminine de la parité a touché des registres inattendus en ce début de millénaire, et il y a quelques temps est sortie outre-atlantique, une bible dite « politiquement correcte », qui souhaite que soit évité l’ignoble paternalisme du texte biblique qui consiste à appeler Dieu « Notre Père ». Et voici que, tranquillement, est sortie cette bible qui appelle le Seigneur au début de l’oraison dominicale « Notre Père et notre Mère ». Il y à là une méprise, à nouveau, comme pour la question du ciel. Si les Juifs au temps de Jésus commençaient à s’autoriser à appeler Dieu leur Père, ce qui était assez scandaleux pour les plus traditionnels, il ne s’agissait pas de proclamer par là même que Dieu était un mâle, qu’il avait une identité sexuelle et pourquoi pas, pendant qu’on y est une vie sexuelle, comme les dieux de l’Olympe ! Il s’agissait en revanche de trouver une image performante pour dire un certain type de relation entre Dieu et l’humain. Et la relation filiale est une des relations les plus fortes et intéressantes. Si les Juifs ont préféré l’appellation de Père à l’appellation de Mère, c’est tout simplement parce que le type de relation que Dieu entretient avec les humains est plus de l’ordre de la paternité que de la maternité, en tout cas tels que les Juifs se les représentaient. La relation d’un père à son enfant tient à un lien de parole, à un pacte qui est fait entre un homme, qui est la plupart du temps le géniteur, et son enfant. Mais que le père soit le père biologique ou non, il y a toujours dans la paternité quelque chose de l’adoption. En effet, on est toujours sûr de qui est mère, car c’est observable au moment de l’accouchement, mais on n’est pas universellement sûr de qui est le père. Devient père l’homme qui est désigné comme tel par la mère. C’est donc une question de confiance, une question de parole donnée. Ce n’est pas pour rien que le jour du baptême de Jésus, alors qu’il avait trente ans, a retenti du haut des cieux cette parole : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toute mon affection ».
Quand Jésus nous invite à prier en appelant Dieu notre Père, il nous redit que notre relation avec Dieu n’est pas quelque chose dont nous avons hérité par nos gènes, par notre sang ou par notre naissance, ni même par l’éducation que nous aurions reçue. Dieu n’est notre Père que si nous l’appelons par ce nom, si nous le reconnaissons comme tel et si nous sommes prêts à entrer en dialogue dans cette relation de confiance qu’on appelle la foi et dont l’expression se nomme la prière. Priez Dieu et nommez-le votre Père, nous incite Jésus. C’est de cette façon que votre façon de parler à Dieu, de considérer Dieu, va changer.
Alors, de grâce, ne voyons pas dans cette appellation le projet abouti d’une société patriarcale qui aurait voulu oppresser les femmes, etc. etc. Voyons plutôt tout ce à quoi nous sommes appelés dans le fait d’avoir un Dieu avec qui nous ne sommes pas « naturellement » reliés, dès la naissance, par je ne sais quel cordon ombilical et spirituel. Nous avons à entrer en contact, nous avons à tisser ensemble une trame, une histoire commune, nous avons à recevoir tendresse et protection en même temps. Nous avons aussi à montrer du respect envers celui qui garde autorité sur nos existences, nous sommes appelés à la reconnaissance pour celui qui pourvoit à nos besoins alors que nous ne sommes pas capables de vraiment vivre par nous-mêmes, étant spirituellement des nourrissons ou au mieux de jeunes enfants, qui ne peuvent se suffire à eux-mêmes.
Elle est belle cette image du Dieu père pour qui veut bien l’entendre telle qu’on l’entendait à l’époque où elle a été utilisée.
Je ne sais pas si vous réalisez la chance qui est la nôtre, dans les pas du Christ, de pouvoir nommer Dieu notre Père. C’est une chance que peu de croyants ont sur cette terre. C’est une chance car nous ne sommes plus limités aux seules filiations humaines et terrestres qui sont parfois douloureuses et pesantes, empreintes de culpabilités et de regrets. Nous sommes faits enfants de Dieu et accédons au bonheur légitime de ceux qui savourent l’héritage de la joie céleste, qui nous a déjà été offerte.

Pour autant il ne faudrait pas seulement se réjouir de cette filiation personnelle qui nous donne le nom d’enfants de Dieu. Car il s’agit aussi d’une filiation collective. Quand nous appelons Dieu « Notre Père », nous ne l’appelons pas seulement « Mon Père, ou Père », mais nous nous plaçons tout de suite dans une famille. Nous recevons, au moment où nous disons ce « Notre Père », une multitude de frères et de sœurs dans la foi, qui eux aussi, au même moment, ici et ailleurs, disent cette même parole au Père de Jésus-Christ.
Finalement, on devrait presque s’interdire de dire le « Notre Père » tout seul. Il y a même eu un temps du christianisme où dire un « Notre Père » était une punition quand on avait fait des écarts par rapport à la norme. A quoi servirait-il de le nommer « Notre » quand nous sommes dans le secret de notre prière personnelle ? C’est aux disciples rassemblés que Jésus propose de prier de la sorte. Certes cette prière deviendra un modèle pour toute prière, et donc aussi pour la piété personnelle, mais elle est avant tout une prière faite pour une assemblée. Cette prière est celle des enfants dispersés qui retrouvent la maison familiale et la table commune présidée par leur père, c’est la prière de ceux qui savourent cette joie d’être enfin réunis alors qu’ils souffrent de la séparation.
Alors bien sûr, cette image paternelle peut être difficile à supporter si votre père n’a pas été vraiment à la hauteur de ce qu’on pourrait attendre de la part d’un père. Mais que l’utilisation de ce terme pour nommer notre Dieu ne vous sclérose pas, et qu’au contraire vous puissiez restaurer en vous-même cette image de père qui a été abîmée par votre histoire personnelle. En vous laissant adopter dans la confiance et la foi, en reconnaissant que votre père est d’abord celui qui a pris soin de vous, appréciez l’affection que vous n’avez pas pu recevoir jusqu’alors. En prononçant ce nom de père à l’attention du Seigneur, mesurez le bonheur qui consiste à être riche d’autant de frères et de sœurs en Christ, à être les membres de la plus grande famille qui existe, et donc au bénéfice d’une solidarité fraternelle tout à fait exceptionnelle. Prenez aussi conscience de tous ces frères aînés qui nous ont précédés à cette même table familiale, et en particulier à notre frère aîné dans la foi, Jésus, « premier-né d’entre les morts », comme l’appelle le Nouveau Testament.
Oui, c’est bien une chance que de redécouvrir que nous sommes les enfants de Dieu, et nul ne saura nous ravir la joie qui est propre aux bien-aimés du Père. Que durant ces semaines de rentrée nous soyons vivifiés par la redécouverte de la prière du Seigneur.
Amen

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